Par Maxime Combes*
Tous les commentateurs saluent un accord historique qui aurait sauvé
l'OMC et le multilatéralisme, tout en facilitant le commerce mondial au
bénéfice des populations. A y regarder de plus près,le paquet de Bali va
profiter aux multinationales, les pays pauvres devant se contenter de
quelques promesses. Décryptage.
La 9ème ministérielle de l'OMC à Bali (Indonésie) ne devait pas être
une réunion de négociations. Le nouveau directeur général de l'OMC,
Roberto Azevedo, souhaitait y arriver avec un accord finalisé que les
ministres n'auraient eu qu'à valider. Aucun accord n'ayant été atteint
lors de la dernière session de négociations à Genève, les négociations
se sont poursuivies à Bali après un coup d'éclat médiatique d'Azevedo
ayant déclaré que ce n'était ni plus ni moins que « l'avenir de l'OMC » qui était en jeu à Bali. Comportant une dizaine de textes portant sur trois sujets principaux, à savoir « la facilitation des échanges », « l'agriculture » et le « développement », le paquet de Bali ne porte que sur une petite partie de l'agenda du « cycle de développement »
initié à Doha il y a 12 ans et jusqu'ici bloqué. En s'accordant sur le
paquet de Bali, premier accord depuis la naissance de l'OMC en 1995, les
pays membres de l'OMC, désormais au nombre de 160 depuis l'adhésion du
Yémen, ont-ils ouvert une nouvelle expansion des politiques de
libre-échange et d'investissement au sein de l'OMC que les importantes
mobilisations de la société civile, notamment à Cancun en 2003, et les
désaccords intervenus entre les pays membres, notamment sur
l'agriculture, avaient jusqu'ici limité ?
Psychodrames habituels !
A chaque conférence internationale, son lot de psychodrames et
conflits diplomatiques montés en épingle. A Bali, les négociations ont
principalement achoppé sur deux points. Le premier concerne les
politiques agricoles. Les pays industrialisés, les Etats-Unis en tête,
se sont longtemps opposés à une proposition provenant du G33, un groupe
de 46 pays « en développement », dont l'objectif annoncé visait
à leur permettre de soutenir les paysans et leur agriculture, réduire
les risques de famine et atteindre leurs objectifs du millénaire en
termes d'alimentation. Dans le but d'assurer leur « sécurité alimentaire »,
ces pays, l'Inde en tête, exigeaient de pouvoir mettre en œuvre des
politiques d'achats de stocks à prix administrés, de subventions
agricoles et de mesures compensatoires qui sont très fortement limitées
et sanctionnées par l'OMC lorsqu'elles dépassent certains seuils. Ces
seuils étant fixés avantageusement en faveur des « pays développés », la proposition visait à obtenir un engagement de ces derniers à ne pas poursuivre les « pays en développement » et leurs politiques de « sécurité alimentaire » le temps que « soit trouvé une solution permanente ».
Les Etats-Unis, refusant de trop grandes concessions, ont finalement
obtenu que l'Inde accepte une solution transitoire, nommée « clause de paix »1, encadrée par de nombreuses conditions. Si la référence au fait de « trouver une solution permanente »
est bien présente, ce qui semble satisfaire l'Inde, il n'est nulle part
précisé quelle forme pourrait prendre cette solution et si elle doit
consister en une revoyure partielle ou totale des chapitres du GATT
consacrés à l'agriculture. Il est seulement indiqué qu'une telle
solution devra être adoptée d'ici quatre ans, lors de la 11ème
conférence ministérielle. Par ailleurs la clause de paix ne s'applique
que pour les seules cultures de base d'un régime alimentaire d'un pays,
restreignant son champs d'application Elle n'est valable que pour les
seules politiques de « sécurité alimentaire » existantes à ce
jour, et ne pourra couvrir d'éventuelles nouvelles politiques, en Inde
ou ailleurs, qui pourront donc être poursuivies devant l'Organe de
règlement des différends de l'OMC. Par ailleurs, elle ne concerne que la
constitution de stocks à prix administrés et non les subventions
agricoles et mesures compensatoires (ASCM).
Une « clause de paix » au rabais !
Au final, si l'on y rajoute quelques limites et conditions procédurales complexes, la « clause de paix »
s'appliquera principalement et quasi exclusivement aux dispositifs
existants en Inde. Par contre elle hypothèque toute possibilité de
généralisation des politiques de sécurité alimentaire, qui plus est de
souveraineté alimentaire, dans les années à venir. Ce qui a fait dire à
certains négociateurs du G33 que l'Inde ne négociait que dans la
poursuite de son propre intérêt, sans se soucier des besoins et intérêts
des autres membres du groupe. La Via Campesina note de son côté que
cette clause de paix est une absurdité puisqu'aucun pays ne devrait
avoir à mendier auprès de l'OMC le droit de garantir le droit à
l'alimentation, et que les politiques agricoles devraient être exclues
de l'OMC.
Le blocus de Cuba pouvait-il faire dérailler les négociations ?
Le second psychodrame s'est noué lors du dernier jour de
négociations, ce vendredi 6 décembre. Alors que les différents textes
comprenaient de nombreux passages entre crochets, c'est-à-dire non
encore validés, le directeur général de l'OMC Roberto Azevedo a proposé
un texte finalisé, sur la base des réunions bilatérales tenues lors des
dernières quarante-huit heures. Parmi les paragraphes supprimés se
trouvaient ceux proposés par Cuba pour remettre en cause l'embargo
commercial des Etats-Unis sur Cuba qui dure depuis plus de 50 ans. La
suppression, unilatérale brutale et irrespectueuse, de ces paragraphes, a
attisé la colère de Cuba et des pays de l'ALBA représentés
à Bali. Dénonçant un texte déséquilibré au seul profit des pays les
plus riches et de leurs multinationales, ils ont exigé une modification
substantielle du texte. Sans accord sur le texte, les négociations ont
été prolongées de plus de 12 heures. Au final Cuba a obtenu qu'il soit
fait mention de l'Article V du GATT et de son principe de
non-discrimination qu'ils espèrent pouvoir utiliser contre le maintien
de l'embargo. Au passage, alors que les paragraphes initiaux étaient
intégrés à l'accord sur la Facilitation des échanges, la mention obtenue
n'a été rajoutée que dans la seule déclaration ministérielle adjointe aux accords validés à Bali, plus rhétorique que normative.
La partie agricole des négociations comportait également un volet
exportations. A en croire la ministérielle de Hong Kong en 2005, toutes
les subventions aux exportations agricoles devaient être éliminées d'ici
2013. C'est loin d'être le cas, pour le bénéfice du modèle agricole
américain notamment. A Bali, il a été juste rappelé que « la concurrence à l'exportation reste une priorité pour le programme de travail post-Bali ».
Autre promesse faite à Hong Kong, la remise à plat du volet coton,
qu'exige depuis longtemps les pays africain,s n'a pas avancé puisqu'il
est simplement annoncé qu'il y aura des « discussions dédiées » dans le programme de travail post-Bali.
Le « cycle du développement », une promesse sans lendemain
Si le paquet de Bali intègre une partie en faveur des « pays les moins développés »
(Least Developed Countries – LDC), il ne comporte rien de substantiel
ou de significatif. La mise en œuvre effective d'un traitement spécial
et différencié et d'un mécanisme de contrôle restent de vieilles
promesses non tenues, aujourd'hui à l'état de déclaration. Leur mise en
œuvre ne bouleversera pas la donne, tandis qu'il est assez choquant que
ces mesurettes destinées aux pays les plus pauvres de la planète aient
été utilisés comme monnaie d'échange dans ces négociations. Alors que le
cycle de Doha avait été annoncé comme celui « du développement »,
supposé apporter un avenir meilleur et plus juste à la majorité des
populations de la planète, le résultat de Bali montre à quel point cette
affirmation était sans fondement.
Les multinationales choyées
Finalement, c'est du côté volet « Facilitation du commerce »
de ces négociations qu'il faut regarder pour trouver des engagements
réellement contraignants. Alors que les échanges commerciaux n'ont augmenté que de 0,02 % en volume en
2012 par rapport à 2011, marquant un net ralentissement des échanges
après deux années de hausse importante, cet accord s'inscrit clairement
dans une perspective d'expansion des échanges commerciaux à l'échelle
mondiale. Schématiquement, tous les Etats membres, dont les plus
pauvres, s'engagent à simplifier les procédures douanières et à mettre à
niveau leurs appareils réglementaires et logistiques afin de réduire
les coûts des transactions commerciales. Les pays du Nord, et les
lobbies privés, ont fait valoir que ces derniers pourraient diminuer de
10 %. Les derniers chiffres annoncés, de l'ordre de 1000 milliards de dollars d'économie et de création de 21
millions d'emplois à l'échelle mondiale, paraissent totalement
fantaisistes.
Par ailleurs, comprenant des exigences de libéralisation et d'accès facilités aux marchés, les mesures de « facilitation des échanges » seraient extrêmement coûteuses à mettre en œuvre pour les « pays en voie de développement »
et profiteraient surtout aux entreprises multinationales, sans que les
pays industrialisés ne fournissent une assistance technique et
financière pour leur mise en œuvre. Le Rapport sur le commerce mondial 2013 de l'OMC indique
que 1% des entreprises d'imports exports concentrent 80% des
exportations américaines, que 85% des exportations européennes sont dans
les mains de 10% de grands exportateurs et que les 5 plus grandes
entreprises d'imports exports des pays en développement sont en charge
de 81% de leurs exportations. L'accord de facilitation des échanges va
donc surtout profiter à ces multinationales et au secteur privé, alors
que sa mise en oeuvre va terriblement peser sur les budgets des pays les
plus pauvres.
Les prémices d'une finalisation du cycle de Doha ?
Salué comme un immense succès par l'essentiel des négociateurs et
commentateurs, le paquet de Bali est annoncé comme celui qui a sauvé et
relégitimé l'OMC et le multilatéralisme commercial et qui va permettre
de finaliser le « cycle de Doha ». Si la déclaration ministérielle
prévoit bien d'établir dans les douze mois « un programme de travail clairement défini sur les questions en suspend du cycle de Doha »,
il faut noter que le paquet de Bali comportait tout au plus 10 % de
l'ensemble du programme de travail établi à Doha, la majorité des sujets
importants (services, etc.) restant non achevés. Par ailleurs, si cet
accord est le premier que l'OMC parvient à conclure depuis 1995,
l'institution reste largement délégitimée et court-circuitée par la
multiplication des accords de libre-échange et d'investissement
bilatéraux. Les mêmes qui se félicitent de cet accord à l'OMC et de la
relance du multilatéralisme en matière commerciale négocient
actuellement des accords bilatéraux aux ambitions extrêmement larges.
Par ailleurs, le débat est-il réellement entre multilatéralisme et
bilatéralisme ? Ou bien entre poursuite et expansion des politiques de
libre-échange et d'investissement destructrices des économies et
productions locales et vivrières, et mise en œuvre de politiques
commerciales justes et démocratiques, centrées sur les droits des êtres
humains et de la nature. Saluer l'accord de l'OMC à Bali revient à se
féliciter d'un accord sur la « facilitation des échanges »
contraignant les pays au profit des multinationales et de quelques
promesses non tenues mais réaffirmées en faveur des pays pauvres. Les
négociations ont échoué à assurer une protection permanente du droit à
l'alimentation des populations, au risque d'exposer des centaines de
millions de personnes à la faim et la famine dans le seul but de
satisfaire au dogme de l'expansion des échanges commerciaux. Il serait
temps de mettre fin à cette mascarade et de reconnaître les dégâts qu'on
suscité de telles politiques depuis de nombreuses années, et d'en tirer toutes les leçons.
*Maxime Combes, membre d'Attac France et de l'Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org). Publié sur le site d'ATTAC.
1La
« clause de paix » engage les membres de l'OMC à ne pas se poursuivre
devant l'Organe de règlement des différends – ORD - de l'OMC en
attendant une évolution des règles à l'origine du conflit
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