Par Guy Giani
Un autre monde est
possible et s'expérimente, hier dans les sociétés de secours
mutuel et les associations ouvrières, aujourd'hui au sein de
l'économie sociale et solidaire, tout au moins parmi les
associations, les mutuelles, les coopératives, les régies de
quartier qui développent un certain type d'activité prenant en
compte les besoins sociaux, l'accès aux biens communs et les
contraintes écologiques et qui fonctionnent sur la base d'une
véritable démocratie active, participative et égalitaire.
Tel est le propos
liminaire de François Longérinas, militant de la coopération,
co-président d'une régie de quartier, secrétaire national du Parti
de Gauche et co-animateur du Front de gauche de l'économie sociale.
L'ouvrage est articulé
autour d'une présentation critique de l'Economie sociale et
solidaire (ESS) qui représente près de 10% de l'emploi national et
qui, depuis quelques années, doit se défendre contre les tentatives
de marchandisation initiées par les gouvernants à l'échelle
nationale et européenne, d'une sélection d'expériences
significatives choisies pour leur singularité, leur pérennité et
leur fort potentiel de transférabilité et d'une conclusion mettant
en avant une possible « république autogérée ».
Il concentre un grand
nombre d'informations utiles à toutes et tous, notamment à ceux et
celles qui s'intéressent aux pratiques alternatives et/ou souhaitent
s'y engager ; il propose des aménagements législatifs susceptibles
de consolider ce qu'on appelle le « tiers secteur
non-marchand » (associations, mutuelles, sociétés
coopératives) en insistant sur la récupération d'entreprises par
les salarié-e-s et, enfin, situe les différentes initiatives et
pratiques alternatives dans la perspective d'une transformation
sociale et écologique de la société 1.
Au coeur de la
contestation en actes du capitalisme
C'est sous le titre « dix
aventures pour changer le monde », que François Longérinas
sélectionne donc des expériences alternatives aux formes variées,
françaises dans neuf cas sur dix, argentine pour la dixième (la
reprise de l'hôtel Bauen par ses salarié-e-s, à Buenos Aires, en
2003 à la suite d'un dépôt de bilan ). L'auteur a le mérite de ne
pas se laisser enfermer dans un cadre juridique trop précis, limité
aux associations, aux mutuelles et aux sociétés coopératives.
Ainsi, quatre des expériences mentionnées prennent d'autres formes,
du simple collectif militant impliqué dans le domaine artistique au
lycée autogéré de Paris, reconnu par l'Education Nationale, même
si cette dernière ne l'aide guère, en passant par la coopération
avec les institutions politiques locales dans le cas des monnaies
alternatives.
Autre caractéristique
intéressante : la variété des situations qui ont déclenché la
dynamique conduisant à la création des structures alternatives
mentionnées dans le bouquin. Parfois, c'est clairement la
mobilisation sociale qui est aux commandes et qui, s'appuyant sur la
résistance des salarié-e-s d'une entreprise ou de celle de tout un
groupe social – en l'occurence les motards – conduit à la
construction d'une alternative. (cas des fermetures d'entreprises ou
de mesures gouvernementales injustes pour une catégorie). Dans
d'autres cas, c'est l'adhésion idéologique aux principes
d'autogestion et à l'esprit de mai 68 qui est à l'origine du
projet2.
Dans d'autres cas encore, les structures créées sont la traduction
de l'importance politique et sociétale prise par la question
écologique (énergies alternatives) ou celle des rapports Nord-Sud
(commerce équitable s'inscrivant dans le mouvement
altermondialiste).
On peut peut-être
exprimer un regret sur cette recension qui a toutefois le mérite de
restituer avec précision et concision la substance de chacune des
expériences. Celui de ne pas mentionner, y compris dans une annexe
plus politique reproduisant une intervention faite en 2009 lors d'une
convention du parti de Gauche, la – ou plutôt les expériences de
budget participatif, au Brésil certes mais aussi, plus modestement,
en France car, au moins dans le premier cas, elles ont impliqué des
dizaines de milliers de citoyen-ne-s dans une démarche active et
participative et elles ont donné lieu à une mobilisation conjointe
et une forte coopération, même si elle a été parfois
conflictuelle, entre associations, comités de base et structures
politiques institutionnelles.
Des propositions
stimulantes
Au
fil des expériences examinées et dans le but de soustraire les
associations à la « concurrence libre et non faussée »,
d'élargir et de renforcer le champ de l'ESS et de favoriser les
reprises d'entreprise par les salarié-e-s, F. Longérinas propose
plusieurs modifications législatives qu'il souhaiterait voir adopter
par un gouvernement soucieux de s'engager dans la voie d'une
transformation démocratique, sociale et écologique des modes de
production et de consommation.
Citons
ici celles qui sont plus particulièrement en rapport avec l'objet de
notre association : promouvoir la démocratie active et
l'autogestion.
L'auteur,
comme le Front de gauche dont il fait partie, comme l'association
AP2E (Association pour une économie équitable) qui en a été
l'inspiratrice, souhaite que les salarié-e-s disposent d'un droit de
préemption de leur entreprise pour la transformer en coopérative
quand les actionnaires décident la fermeture ou la vente. Il
souhaite également que les commandes publiques soient
prioritairement orientées vers les SCOP et donnent ainsi la
préférence à la démocratie économique sur l'intérêt privé.
Dans
le domaine du logement, F. Longérinas propose une loi créant un
statut pour les coopératives de façon à permettre le
développement de l'habitat participatif et autogéré.
Dans
le secteur de l'énergie, prenant Enerccoop comme exemple – une
SCIC (société coopérative d'intérêt collectif) de 7 000
sociétaires et une implantation dans plusieurs régions, il se
prononce pour la création de pôles publics de type nouveau
associant pouvoirs publics territoriaux et entreprises coopératives
ou mutuelles
Enfin,
F. Longérinas insiste, à juste titre, sur la nécessité d'une
véritable démarche d'éducation populaire favorisant à la fois les
pratiques de coopération et la transmission d'un patrimoine
immatériel, celui des expériences émancipatrices portées par le
mouvement ouvrier et citoyen. Dans le domaine de l'école, les
pouvoirs publics doivent favoriser les structures éducatives
autogérées pratiquant une pédagogie active et les innovations
pédagogiques allant dans le sens d'une plus grande participation des
acteurs de l'école à la vie des établissements. Sur le plan des
contenus, l'auteur propose que les associations d'éducation
populaire, les acteurs de l'ESS puisent intervenir aussi bien dans le
cadre de l'Education Nationale que dans la formation des salarié-e-s
pour valoriser la culture de la solidarité, de la coopération et de
la démocratie active
Pour poursuivre le
débat
Si
nous ne pouvons que partager les préocupations de F. Longérinas, la
plupart de ses appréciations et son souci d'inscrire l'initiative
citoyenne et les pratiques alternatives à caractère
autogestionnaire dans une perspective de transformation sociale et
écologique, on peut aussi discuter certaines affirmations ou options
prises parfois par l'auteur.
Ainsi,
si F. Longérinas met l'accent sur la nécessité de revitaliser la
démocratie interne de certaines structures de l'ESS, notamment celle
des mutuelles et des banques coopératives, il se contente le plus
souvent de regretter le faible niveau d'implication citoyenne. Mais
ne faut-il pas mettre en cause, plus qu'il ne le fait, les mécanismes
de bureaucratisation qui, progressivement, ont entraîné une
exclusion de fait des sociétaires des principaux choix effectués en
leur nom ? Peut-on espérer une participation active quand les
principales décisions sont prises en dehors des Assemblées
Générales et que la fréquence de ces AG est limitée à une par an
? F. Longérinas l'indique lui-même, les expériences coopératives
nécessitent non seulement des salarié-e-s motivées mais aussi des
salarié-e-s compétent-e-s et, donc, une formation professionnelle
suffisante. C'est une condition de la réussite mais aussi de la
vitalité de la démocratie dans l'entreprise. Pourquoi n'en
serait-il pas de même pour les sociétaires bénévoles des
mutuelles et banques coopératives ? Leur formation, à la fois aux
enjeux généraux et aux caractéristiques de leur secteur d'activité
est nécessaire. Pour les salarié-e-s souhaitant s'impliquer, cela
suppose la création d'une sorte de crédit-temps, soit un nouvel
espace de négociation entre les syndicats, le patronat, les
structures de l'ESS et les pouvoirs publics.
D'autres
espaces de discussion sont possibles. Par exemple, celui de
l'organisation des services publics et pas seulement celui de
l'articulation entre ces mêmes services dont le fonctionnement
serait inchangé et les structures de l'ESS. N'est-il pas souhaitable
d'envisager une décentralisation autogestionnaire du service public
un peu sur le modèle des SCIC dans lesquelles consommateurs,
associations, collectivités locales et salariés sont associés et
prennent ensemble les principales décisions3
?
Au
fond, ce débat, recoupe celui de la place de l'Etat dans le
processus de transformation sociale et politique de l'ordre
actuellement existant. Car, même s'il peut-être comme l'indique F.
Longérinas, « un instrument privilégié de l'appropriation
citoyenne et du pouvoir de décision » pour le plus grand
nombre, l'Etat est aussi une institution oppressive qui organise la
domination d'une minorité sociale. Aussi, tout en utilisant les
leviers disponibles, les partisans de l'autogestion ne doivent-ils
pas avoir constamment à l'esprit une petite musique de rappel sur
les dangers d'appropriation du pouvoir par le haut des structures
étatiques ? Ne doivent-ils pas avoir en point de mire, même
lointain, le dépassement-dépérissement de l'Etat au profit de
communautés tendant vers l'autogestion et établissant entre elles
des liens non hiérarchisés ?
Guy
GIANI
1-
L'auteur prend soin de mentionner que cette perspective de
transformation n'est pas nécessairement partagée par tous les
praticien-ne-s de l'ESS.
2
- Cette adhésion ne suffit pas en elle-même à pérenniser un
projet. Comme François Longérinas l'indique, il faut aussi une
solide formation profesionnelle.
3
- Dans le passage consacré au Lycée autogéré de Paris, F.
Longérinas cite une initiative prise par différentes associations
dont la Ligue de l'enseignement et l'ICEM (Freinet) en faveur d'un
« Pacte éducatif pour une société éducatrice
décentralisée », montrant qu'il est sensible à ce dernier
aspect comme à la participation des usager-e-s à la vie de l'école
et à l'insertion de cette dernière dans son environnement social.
Ce mode de fonctionnement ne vaut-il pas pour l'ensemble des
services publics ?
François LONGERINAS
Prenons le pouvoir
Coopératives, autogestion et initiatives citoyennes – Ed. Bruno Leprince – 2012- 5 €
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