M. Colloghan

mardi 22 juillet 2014

Autogestion, retour gagnant*

Par Bruno DELLA SUDDA et Patrick SILBERSTEIN

L'autogestion ? Disparue des radars en Europe avec le reflux politico-social de la décennie 1980 et du début des années 1990, elle avait marqué les esprits avec la grève des Lip, véritable coup de tonnerre en 1973 qui faisait la démonstration magnifique de cet impensé du capitalisme : on n'a pas besoin d'un patron pour faire tourner une usine, assurer la production et la distribution...

La grève des Lip n'était pas isolée. D'autres grèves autogestionnaires, moins emblématiques mais tout autant significatives ont eu lieu à cette époque un peu partout dans le monde. Ainsi, celle de la Lucas Aerospace au Royaume-Uni (1976) qui a vu les salarié-e-s adopter la démarche d'un contre-plan ouvrier avec reconversion de la production militaire en production médicale. Tels les Sanofi plus près de nous, ils et elles pensaient la production industrielle socialement utile et donc l'après-capitalisme.


Les poussées révolutionnaires du XXe siècle (à l'Ouest mais aussi à l'Est : de la Révolution des Œillets au Portugal en 1974 à la Révolution polonaise de 1980-1981) sont marquées par le surgissement de l'auto-organisation et de l'autogestion, comme réponse concrète à une situation concrète marquée par la vacance du pouvoir patronal ou étatique.

C'est par l'Amérique afro-latino-indienne que l'autogestion est revenue au premier plan, en s'installant de surcroit dans la durée. Ce retour de l'autogestion touche à la fois les entreprises (les entreprises récupérées en Argentine et au Brésil), les territoires (budget participatif de Porto-Alegre, expériences de pouvoir populaire au Venezuela), et même dans les territoires «libérés» comme au Chiapas.

L'histoire du XXe siècle, comme celle d'aujourd'hui, nous confirme que l'autogestion n'attend pas la révolution : elle y prépare et elle s'y mêle inextricablement. C'est à la fois un but, un chemin et un moyen pour changer la société.

Du reste, c'est bien l'aspiration à l'autogestion que l'on retrouve comme élément-clé de la nouvelle culture politique qui s'exprime dans le mouvement des Indignados - et pour la première fois sur le plan électoral avec la poussée de Podemos aux élections européennes dans l'Etat espagnol – ainsi que dans les révolutions arabes qui l'ont inspiré.

La lutte récemment victorieuse des FRALIB, avec sa double dimension écologique et autogestionnaire, ainsi que d'autres expériences qui, comme l'écrivait Marx dans l'Adresse inaugurale de l'AIT, montre le « triomphe » de l'«économie politique du travail » sur l'«économie politique de la propriété », doivent nous mettre en éveil. Car elles font écho à la poussée en France de l'économie sociale et solidaire et à la multiplication des projets de type coopératif, alimentée par la reconnaissance obligée par les pouvoirs publics qui font de nécessité vertu parce que dans la crise, ce secteur de l'économie licencie moins que les autres et créée davantage d'emplois.

Certes, économie sociale et solidaire ou coopération ne sont pas synonymes d'autogestion. Mais il n'empêche : l'une comme l'autre contribuent, de fait, à élargir la brèche ouverte par les grèves autogestionnaires. Malgré toutes les difficultés, les FRALIB montrent à l'opinion publique une chose absolument essentielle : l'horizon capitaliste n'est pas le seul, d'autres logiques sont possibles et elles se construisent ici, maintenant, au coin de la rue.

Les pratiques coopératives telles qu'elles existent tendent vers l'autogestion (ce qui ne signifie pas que ce sera leur aboutissement) et rejoignent les pratiques alternatives, celles qu'expérimentent toutes celles et tous ceux qui sans attendre produisent, consomment et vivent autrement. Le « déjà là », ces « temps germe », au sein même de l'environnement capitaliste, doivent être pris pour ce qu'ils sont : un formidable levier pour démontrer que la révolution n'est pas une abstraction idéologique, mais un processus et une perspective à portée de main.

Ces expériences – au-delà de leurs limites - contribuent ainsi de manière essentielle à la déconstruction de la pensée dominante et à la contre-offensive d'une problématique alternative, décisive pour la conquête d'une hégémonie culturelle à gauche.

Voilà pourquoi l'autogestion doit dès à présent, au-delà des pratiques immédiates auxquelles nous nous devons de participer ou d'apporter notre soutien, être remise en chantier pour alimenter le débat programmatique et stratégique du changement de société.

Bruno DELLA SUDDA et Patrick SILBERSTEIN

*Article à paraître dans le prochain bulletin Ensemble!

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