Défendre l'emploi, refuser les plans
dits "sociaux", interdire les licenciements, c’est le minimum que
l’on devrait attendre d’un gouvernement social-démocrate. Ce qui, bien entendu,
ne se produira ni aujourd’hui ni demain avec ce gouvernement. La gauche de transformation
a évidemment des ambitions plus radicales, qu’elle s’efforce d’articuler à ces
objectifs minimaux en formulant des propositions transitoires afin de tracer
les voies d’une alternative au capitalisme en s’appuyant sur les potentialités
que lui offre la situation politique et sociale. Pour rebâtir une espérance et
donner de la lisibilité à la transformation sociale, il lui faut tenter en
permanence d’articuler le possible et le projet, l’exigence et la dynamique
transformatrice, l’immédiat et le futur immédiat. La crise bretonne, Spanghero,
Fralib, Sanofi, la SNCM et bien d’autres « cas offrent la possibilité de
concrétiser un autre « possible ».1
Remettre
en cause le dogme de la propriété privée des moyens de production et d’échange
et les modes de régulation de la société n’est en aucune façon une exigence
abstraite, c’est un possible inscrit dans les faits. Et ce d’autant plus que
les politiques patronales, les abandons gouvernementaux et la financiarisation fissurent ce dogme.
Dans
une autre vie, nous entendions scander dans les manifestations : « Une seule solution la révolution ».
Aussi juste qu’abstrait, le slogan posait une redoutable question: comment
faire pour que le spectre qui hante le vieux monde s’incarne en un mouvement politico-social capable
de le subvertir et de le
renverser ? « Un seul moyen, le programme
commun », répondaient ceux qui, pour diverses raisons qu’il n’y a
pas lieu d’évoquer ici, ne se souciaient pas de tracer les voies et les
modalités d’une rupture avec l’ordre existant. La rupture étant ce cumul de sauts qualitatifs
et de moments accélérateurs qui, dans certaines circonstances historiques,
permettent de passer des pouvoirs en gestation au « pouvoir » qu’il faut
conquérir, des « parties » au « tout ».
Bien
que nous ne soyons pas maîtres du temps historique, nous nous situons dans
l’hypothèse de la survenue de ces moments et nous les préparons.
C’est
en effet dans les moments de crise majeure, quand ceux d’en bas ne veulent plus
et que ceux d’en haut ne peuvent plus, que la dualité de pouvoir constituée par
la prise en main des moyens de production, des services, de la ville, amène les
diverses organisations populaires à articuler tâches politiques, sociales et
économiques, et à subvertir les rapports sociaux dominants. C’est ainsi que,
d’une certaine manière, la transition ne commence pas « après » la révolution,
mais qu’elle se manifeste déjà dans les pores mêmes de la dynamique
révolutionnaire de notre époque.
En
ce sens, malgré les reculs et les défaites, « demain est déjà présent » sous la
forme des nombreuses alternatives qui devraient former une partie de l’ossature
sur laquelle les mouvements d’émancipation pourraient s’appuyer pour construire
du commun, donner du sens à leur projet « global » et structurer un bloc social
et politique.
Il
y a, d’autre part, une impérieuse nécessité héritée du 20e siècle qui nous
étreint: il ne faut pas en douter, le cadavre de la catastrophe stalinienne est
encore chaud dans les placards de la conscience populaire; saisissant le vif
des possibilités de transformation sociale, la malédiction de Thermidor nous
tire en arrière. Ce n’est que par la pratique démocratique et la mise en
mouvement des travailleurs(euse)s et des citoyens(nes) autour de projets
alternatifs et à caractère autogestionnaire, maîtrisés par eux-mêmes, que
pourra être conjuré le mauvais sort que le stalinisme a jeté sur la révolution.
Éclairer l’avenir, c’est aussi dissiper les brumes de ce passé encore si
présent. Pour que des mouvements sociaux se pensent capables de renverser
l’ordre existant en lui substituant une autre organisation de la Cité, il faut
à la fois qu’ils en perçoivent la nécessité et la possibilité, et qu’ils aient
vérifié la possibilité d’une gestion autonome des institutions sociales et d’un
bouleversement des rapports sociaux. Les expériences autogestionnaires, parfois
limitées dans le temps et dans leur surface, ouvrent ce chemin. Elles sont les
écoles pratiques et concrètes de l’alternative. Elles inventent de nouvelles
normes, de nouvelles règles qui tendent à briser les hiérarchies et la division
du travail. Elles organisent la socialisation des savoirs nécessaire à
l’autogestion collective, où chacun(e) maîtrise et décide des choix collectifs,
que ce soit en matière de production de biens ou de services ou d’organisation
institutionnelle. Elles sont fondatrices de ce moment particulier où les
exploités et les dominés affirment d’une même voix : « Nous sommes candidats au pouvoir ! ».
La
construction d’une stratégie de transformation révolutionnaire et d’un bloc
social passe par la mise en valeur d’un projet de société qui doit d’ores et
déjà mettre l’avenir en une musique concrète, où des groupes font une
expérience d’une « libération » partielle dessinant les contours du possible au
sein même du vieux monde. Dans un numéro de la revue Autogestion consacré au Mai rampant
italien, Piero Bernocchi évoquait en ces termes une telle nécessité : « [Il y a] exigence pour les mouvements populaires
de trouver des structures permanentes d’organisation de masse, non
exclusivement syndicales, capables d’associer la lutte économique à la lutte
politique, ou mieux encore les luttes sectorielles à la lutte anticapitaliste
dans son ensemble2 ».
Lucien Sfez parlait quant
à lui de l’autogestion comme d’un « temps germe3», d’un temps où se construisent à la
fois une identité collective et un « projet » dans une expérience au
cours de laquelle ces groupes s’auto-organisent et s’approprient, qui un droit, qui une parcelle de pouvoir, en
s’«extrayant» des rapports capitalistes, c’est-à-dire en mettant en œuvre leur
critique-pratique, leur négation.
Marx
ne disait rien d’autre quand il évoquait les coopératives ouvrières dans
l’Adresse inaugurale de l’Association internationale des travailleurs qu’il
rédigeait en septembre 1864. Il s’agit, écrit-il, d’une « victoire […] de l’économie politique du travail
sur l’économie politique de la propriété » obtenue « par des actions et non par
des raisonnements ». « Les coopératives, écrit-il encore, ont prouvé que la
production (…) peut être exercée sans l’existence de la classe des maîtres (…)
que le travail salarié, tout aussi bien que le travail des esclaves, que le
travail des serfs, n’est qu’une forme transitoire et inférieure qui est
destinée à disparaître devant le travail associé 4.»
De la guerre de tranchées...
Il
est vrai qu’en cette seconde décennie du 21e siècle, le souvenir d’un certain
mouvement ouvrier s’estompe5. S’il s’identifiait à un
projet pour demain (la révolution, le socialisme…), il était aussi
l’incarnation d’une contre-société se lovant au sein même de la société
existante et s’opposant en une sorte de guerre de tranchées au pouvoir des
maîtres de l’État et de l’argent. Sociétés d’entraide et de secours mutuels,
partis, syndicats, associations, journaux, maisons d’édition, centres de vie
communautaire, mutuelles, maisons du peuple, Bourses du travail, coopératives
et entreprises culturelles, écoles du soir pour adulte, ont fait valoir les
droits et les aspirations du « Travail », façonné une conscience autonome, et
laissé entrevoir un autre possible. Malgré toutes les limitations et
déformations que l’on sait – et parfois il s’agissait de la reproduction pure
et simple des formes de domination de la société capitaliste –, ce mouvement
ouvrier-là façonnait d’une certaine façon une alternative de société visible,
palpable, vivante, une utopie concrète et fonctionnelle6.
Dans
leur introduction aux textes de Marx et Engels consacrés à la coopération, Pierre Cours-Salies et
Pierre Zarka soulignent que « la volonté
d’expérimenter cette voie alternative qui a accompagné le mouvement ouvrier
depuis ses origines semble retrouver aujourd’hui une nouvelle jeunesse :
créations de coopératives, réquisitions des biens vacants, expropriations,
récupérations d’entreprises, grèves actives avec reprise de la production,
contre-plans « ouvriers », contrôle ouvrier et populaire, autogestion, etc. Les
“expériences” de mise en commun pour développer des activités socialement
utiles ponctuent la lutte des classes et sont l’embryon, le banc d’essai de la
réponse de la société des citoyen·nes associé·es pour faire face à la guerre
capitaliste7.»
Ces
« expériences » sont à l’évidence des moments et des lieux de « rupture
partielle », de véritables « auto-gouvernements limités », des espaces
échappant, évidemment partiellement et provisoirement, à l’emprise du système.
Si ces contre-sociétés, expression d’un rapport de forces, sont à des degrés
divers et tour à tout tolérées, récupérées, réprimées, détruites, intégrées ou
digérées par le système, elles permettent l’expérience sociale collective et la
construction d’une cohérence d’ensemble. Ces espaces permanents, porteurs de
mémoire, d’auto-organisation, de nouvelles cultures, de futurs possibles, de
positions conquises dans la société sont donc des conditions préparatoires à la
rupture révolutionnaire. Ils permettent de faire apparaître une volonté
stratégique de lier les luttes politiques et revendicatives au dégagement d’une
conception de l’intérêt collectif. Ils permettent aussi l’élaboration et
l’expérimentation d’autres modes de régulation prenant en compte les équilibres
géographiques, culturels, écologiques, les différenciations sexuées, les
différenciations nationales. La réflexion contre-planificatrice se développe
alors comme partie du projet d’ensemble.
En
septembre 1866, le premier congrès de l’AIT reconnaissait « le mouvement coopératif comme une des forces
transformatrices de la société présente, fondée sur l’antagonisme des classes.
Son grand mérite est de montrer pratiquement que le système actuel de subordination
du travail au capital, despotique et paupérisateur peut être supplanté par le
système républicain de l’association de producteurs libres et égaux ».
La résolution soulignait également que «
restreint aux formes minuscules issues des efforts individuels des esclaves
salariés », ce mouvement était «
impuissant à transformer par lui-même la société capitaliste » et qu’il
fallait, « pour convertir la production sociale en un large et harmonieux
système de travail coopératif, des changements sociaux généraux sont
indispensables ».
Et
on a trop souvent mis en avant la critique acerbe faite par Marx aux utopistes,
qui opposaient à la lutte des classes et aux processus historiques leurs
constructions (phalanstères, Icarie, villages coopératifs, home colonies... ), et négligé sa
compréhension du phénomène coopérativiste qu’il comprenait en réalité comme un
produit même de ces luttes de classes. Au demeurant, dans le tome 3 du Capital, il revient sur les
coopératives en ces termes : « Pour ce
qui est des coopératives ouvrières, elles représentent, à l’intérieur de
l’ancien système, la première brèche faite dans celui-ci, bien qu’elles
reproduisent nécessairement et partout, dans leur organisation réelle, tous les
défauts du système existant. Toutefois, dans les coopératives, l’antagonisme
entre le capital et le travail se trouve surmonté, même si c’est encore sous
une forme imparfaite : en tant qu’association, les travailleurs sont leur
propre capitaliste, c’est-à-dire qu’ils utilisent les moyens de production à la
mise en valeur de leur propre travail. Elles montrent comment, à un certain
niveau du développement des forces productives matérielles et des formes
sociales de production qui lui correspondent, un nouveau mode de production
prend forme et se dégage tout naturellement de l’ancien. »
Temps germe : un inventaire à la Prévert à mettre en musique
À
y bien regarder, on s’aperçoit que ces « temps germe », cette pratique de mise
en place de contre-pouvoirs dans le cadre même du système d’exploitation et
d’oppression, ne sont pas limités à des situations marginales ou à des cas
d’espèces. C’est une constante mondiale qui semble traverser les époques et que
l’on retrouve dans beaucoup des conflits mettant en mouvement tout ou partie de
la société, dans des situations d’explosion sociale radicale ou de répression
aggravée, ou encore dans des situations combinant ces deux données, des
situations où l’observateur superficiel n’entrevoit que peu souvent ce qui se
passe sous les pavés qui volent et entre les balles qui sifflent. Là comme
ailleurs, il s’agit aussi, tout en luttant et en préparant l’avenir, de vivre,
de faire vivre des familles, de les nourrir, de mettre en oeuvre des services
sociaux, des écoles constituant des minimums indispensables en même temps que
des lieux de développement et d’organisation de la conscience collective.
C’est
ainsi qu’on peut les apercevoir, par exemple dans la Palestine insurgée où une
certaine organisation parallèle de la vie sociale et vie économique joue un
rôle essentiel. Quoi de plus innocent en effet que des gens se réunissant pour
acheter des pommes de terre et des haricots ? Rien, sauf qu’en pleine Intifada,
un groupe d’horticulteurs produisant des semences pour les jardins potagers
familiaux, conseillant les villageois sur les techniques de jardinage, s’est
progressivement constitué en « structure
alternative de conseil » se
substituant ainsi à l’autorité occupante... Ce qui fut considéré comme
intolérable par l’occupant !
On
les aperçoit également au Canada où les Indiens Mohawks réclamant la
souveraineté sur leurs terres ancestrales ont créé dans leur réserve leur
propre police (qui a chassé « celle des
Blancs »), leurs écoles, leur service de santé. En Amérique latine,
on fait plus que les apercevoir puisqu’elles sont là, puissantes, installées
dans le décor des luttes du sous-continent : ateliers populaires, dispensaires,
boulangeries, entreprises récupérées et autogérées, villes entières sous le
régime du budget participatif, territoires libérées comme le Chiapas de l’EZLN
avec ses caracoles8.
Aux
États-Unis même, au coeur de la citadelle, sans aucun doute en relation avec la
riche tradition utopiste et avec la difficulté de dégager des perspectives
politiques, on retrouve des structures d’entraide, de coopération, des free clinics, des coopératives, des
contre-plans ouvriers, qui permettent, souvent sur une base communautaire (cf.
le Black Panther Party, ses patrouilles de protection et ses cantines
populaires), d’enfoncer des coins dans le système, même si globalement celui-ci
n’en paraît guère ébranlé9.
La
Tchécoslovaquie du printemps de Prague, le Mai rampant italien, le Portugal des
oeillets, le Chili de l’Unité populaire, l’Argentine, le Brésil ou l’Espagne
ont été, et sont encore, souvent le théâtre d’une multitude de ces « temps germe ».
Pour
mémoire, rappelons malgré tout quelques-uns des « temps germe » archétypiques de l’après 68 : Lip, le
Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (MLAC) et
le Larzac…
Autant
de situations différentes qui éclairent l’urgence du nécessaire et possible
réarmement culturel et stratégique de ceux qui entendent agir pour changer le
monde. Bien évidemment non exempts de contradictions et de questions non
résolues, ces moments – qui ne sont pas pour autant brefs – permettent de
tracer des possibles pour une perspective révolutionnaire. Ce sont bien plus
que de simples moments d’affrontements avec la logique du système, ce sont des
éléments d’une critique pratique du capitalisme et de ses rapports sociaux
qu’il nous faut (ré)intégrer dans une problématique politique10.
Un
projet de « contre-société » ne peut être apprécié que dans son articulation-
dépendance avec le mouvement d’ensemble. Que ce projet résulte d’une démarche
volontaire ou qu’il marque, à un moment donné, le rapport des forces dans un
conflit. Et, à l’inverse, ce mouvement d’ensemble nécessite la mise en place de
ces « temps germes » comme forme transitoire découlant des transformations en
cours. L’agir autogestionnaire a pour effet d’inverser les formes de domination
et de déstabiliser les fonctionnements sociaux liés aux forces dominantes. Ce
qui est bien entendu le cas des projets coopératifs – même si certains ne sont
pas « exemplaires » – et des contre-pouvoirs qui nous intéressent, même si à
l’évidence des pressions spécifiques s’exercent et s’exerceront sur eux.
Les
conditions sociales et politiques dans lesquelles nous évoluons doivent nous
faire réévaluer les formes de contre-pouvoir comme éléments d’organisation
politico-sociale et de transition. Les conditions de nos propres combats en
cette fin de siècle en soulignent la modernité.
L’autogestion,
à la fois méthode de lutte, critique-pratique des politiques patronales et
gouvernementales et esquisse de projet, constitue indéniablement un
axe essentiel de démonstration pratique visant, comme le disait Albert Détraz,
à substituer « à la monarchie
industrielle et administrative [...] des structures démocratiques à base
d’autogestion11».
Mais aux succès partiels doivent
répondre un projet politique global, un projet de société, produits de
l’expérience et de débats partagés. Les avancées majeures, les ruptures ne se
feront qu’en allant au-delà des formes institutionnelles existantes de la
démocratie représentative, mais il serait erroné de prétendre à la reproduction
des formes révolutionnaires antérieures.
L’expérience
du siècle précédent nous l’a cruellement montré : l’accommodement aux normes du
capitalisme englue la transformation sociale dans l’ordre des choses existant,
mais le désir d’abolition pure et simple la conduit dans l’impasse. Ce qu’il
convient donc de penser et de construire, c’est une dynamique de dépassement et
de rupture. Ce qui s’est formulé dans les exigences des mouvements sociaux,
c’est une autre conception de la mise en commun, la nécessité de la
redéfinition de l’intérêt général, du service public. Dans ce que refusent et
dans ce qu’espèrent les mouvements sociaux générateurs d’émancipation, une
politique se cherche afin de redéfinir l’architecture générale de la Cité.
…À la guerre de mouvement
Marx
n’aborde jamais la question des coopératives en elle-même, il la traite
toujours dans la perspective de l’émancipation générale des travailleurs. S’en
remettant à la spontanéité ouvrière, il proclame constamment la nécessité pour
les communistes de maintenir un point de vue plus large qui tienne compte du
processus historique. Aussi, à une appréciation d’un « contre-pouvoir »
particulier – qui varie suivant le type d’expérience –, Marx envisage toujours
en plus une appréciation de sa valeur dans une perspective générale.
Quand
Marx souligne les limites du mouvement coopératif en insistant sur l’idée que
pour « sauver les masses ouvrières [il]
doit être développé aux dimensions nationales », que sa dynamique
propre ne suffit pas et qu’il faut lutter pour la conquête du pouvoir politique,
cela ne doit pas nous conduire à inverser la problématique en subordonnant tout
projet émancipateur partiel à la prise du pouvoir préalable. C’est ce que
faisait dans l’après 68 certains des commentateurs de Marx, tel Roger
Dangeville qui affirmait qu’il s’agissait « avant tout [souligné par nous] de conquérir par des victoires politiques un terrain
sur lequel cela pouvait être réalisé à long terme ». Il s’agit-là d’un travers commun à ceux qui, voulant à
juste titre réaffirmer la nécessité de la prise du pouvoir politique, réduisent
l’activité autonome des travailleurs et des citoyens au travers d’un prisme
déformant : le primat du « politique », c’est-à-dire du « parti » et de « leur
» parti (suivez notre regard…) sur toute autre forme d’organisation et
d’activité du mouvement social.
Contre-pouvoirs
et démarche propositionnelle permettent de construire certaines des conditions
matérielles, organisationnelles et politiques de la rupture. Ils permettent non
pas de réconcilier le réformisme et la révolution comme le prétendaient les
amis de Michel Rocard, mais de concevoir une articulation dynamique entre ce
qui est possible, ce qui est nécessaire et ce qui est souhaitable.
À
partir de la multitude des ruptures partielles engagées se creusera le passage
vers d’autres logiques d’organisation sociale. Nécessaire, mais non suffisante,
la multiplication des contre-pouvoirs modifie la logique d’ensemble des pouvoirs. Telle est sans doute une
des clés de la révolution du 21e siècle et de la marche vers une 6e république autogérée.
* Patrick le Tréhondat et Patrick
Silberstein sont co-auteurs de la France
des années 68. Une encyclopédie de la contestation, Syllepse, 2008.
Article publié dans Contre Temps N°20 - 1er Trimestre 2014.
Notes :
1/ Pour les questions
politiques posées par les fermetures d’entreprises et leur « reprise » par les
salariés et la collectivité, voir notamment le site de l’Association pour
l’autogestion, www.autogestion.asso.fr/APA. À noter que dans les années 1970, il
existait en Grande-Bretagne un Institut du contrôle ouvrier qui traitait de ces
questions, et qu’aujourd’hui en Amérique latine il existe plusieurs
regroupements et instituts (y compris universitaires) qui aident les
entreprises récupérées, les coopératives autogérées, etc. Il existe même au
sein de l’AFL-CIO étatsunienne un département dévolu à l’aide aux coopératives
ouvrières.
2 Piero Bernocchi, «
L’auto-organisation au niveau social», Autogestion
et socialisme, n° 26-27, mars juin 1974.
3/ Lucien Sfez, «
Autogestion et pierre philosophale », in Cause commune, Qui a peur de l’autogestion ?, 10/18,
1978.
4/ Pour les textes de
Karl Marx cités dans cet article, voir Karl Marx et Friedrich Engels, Propriété et expropriations: des coopératives à
l’autogestion généralisée, textes présentés et annotés par Pierre
Cours-Salies et Pierre Zarka, Syllepse, 2013.
5/ Le
« communisme à la française », le « communisme à l’italienne », l’«
austro-marxisme», l’anarchisme espagnol, pour ne citer que quelques exemples
européens, sans oublier les expériences dites utopistes.
6/ Ce n’est pas parce
que confronté à des échéances cruciales, ce mouvement ouvrier n’a pu ou voulu
rompre avec l’ancienne société – pour des raisons dont ne pouvons pas traiter
ici –, ou à cause de ses conceptions verticalistes, qu’il faut rayer
de la carte de notre utopie concrète ce qu’il dessinait
en creux avec ses constructions horizontales et ses réseaux.
8/ Voir Franck
Gaudichaud (coord.), Amériques latines :
émancipations en construction, Paris, Syllepse, 2013 ; voir aussi
le blog de Richard Neuville, http://alterautogestion.blogspot.fr/
.
9/ Voir notamment
Marie-Christine Granjon, L’Amérique de la
contestation, Paris, FNSP, 1985 ; Politis la revue, n° 5, « La gauche
américaine », 1993-1994
Un Dictionnaire
encyclopédique de l’autogestion est en préparation sous les
auspices d’une équipe
de l’Association pour l’autogestion. Voir aussi
Antoine Artous et al.
(coord.), La France des années 68,
Paris, Syllepse, 2008.
11/
Albert Detraz, « le mouvement ouvrier, la CFDT et l’idée d’autogestion », in Albert Detraz, La CFDT et l’autogestion, Cerf, 1973,
p. 77.
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