M. Colloghan

samedi 5 mai 2012

L’expropriation de Repsol YPF : réalité, limites et perspectives

Contre l’ingérence impérialiste ! Total grand opérateur de gaz de schiste en Argentine.

Marcelo Nowersztern*

Le gouvernement argentin de Cristina Kirchner a annoncé à mi avril qu’il allait prendre le contrôle d’YPF (l’entreprise pétrolière la plus importante du pays) en expropriant 51 % des actions appartenant à l’entreprise espagnole Repsol. Immédiatement, le gouvernement espagnol et l’Union Européenne ont menacé de représailles contre l’Argentine.

Le premier devoir et l’objectif de CALPA (Comité de soutien aux luttes du peuple argentin) sont de dénoncer l’ingérence impérialiste européen et de se mobiliser en ce sens. Les gouvernements impérialistes se prennent pour les propriétaires du monde et de l’Argentine et défendent leurs intérêts de pillage au nom de la démocratie, de la sécurité juridique et de leurs investissements. Nous appelons le mouvement ouvrier français et européen, le mouvement social, les partis de gauche, les organisations de solidarité à dénoncer la politique de représailles de l’Union Européenne, du Parlement Européen, et des gouvernements espagnols et français et des institutions impérialistes.

Nous sommes inconditionnellement contre la politique impérialiste des gouvernements européens soutenue parfois lamentablement par certains partis de gauche et des syndicats. C’est ainsi que le PSOE espagnol s’est solidarisé avec le refus de l’expropriation. Il faut se souvenir que Felipe Gonzales est un agent direct du capital pilleur espagnol et de Repsol. De même, Izquierda Unida n’a pas eu une réponse completemente claire. Les sections syndicales de l’UGT et de CC.OO défendent leur entreprise. Rappelons nous qu’en son temps, la section syndicale de la CGT a applaudi la participation substantielle d’EDF aux privatisations argentines, parce qu’elle renforçait l’entreprise publique.

Il faut se mobiliser sans restriction contre « notre impérialisme », quelle que soit notre position à l’égard du gouvernement Kirchner et quelle que soit notre position sur l’expropriation de Repsol.

Expropriation et nationalisation

La récupération d’YPF décidée par le gouvernement consiste à exproprier 51 % des actions détenues par Repsol qui lui donnaient le contrôle majoritaire. Ces 51 % vont devenir propriété de l’Etat national et des provinces. Le capital sera réparti ainsi : 26,03 % Etat National, 24,99 % les provinces, 25,46 % le groupe Petersen, 17,09 % à la bourse, avec une partie majoritaire de fonds de pension américains, 6,43 % Repsol. L’Etat national et les Provinces doivent établir un pacte de syndication pour gérer l’entreprise.

La valeur des actions devra être fixée par le Tribunal de commerce. La valeur de l’action YPF à la bourse a baissé depuis plusieurs mois mais a commencé à remonter les derniers jours. Buffau, Président de Repsol, a estimé que l’indemnisation de 51 % d’YPF devrait être de 10 milliards de dollars. Les porte paroles du gouvernement évoquent des quantités beaucoup plus faibles et certains disent même qu’il n’y aura rien à payer. Mais, la nouvelle société anonyme va prendre en charge une dette de 9 milliards de dollars de l’ancienne YPF, ce qui couvre une part importante de sa valeur supposée.

L’indemnisation fait et fera l’objet d’un long processus de négociation. Beaucoup d’analystes sont d’accord pour dire que les principaux porte-parole du capital insistent surtout sur la question de l’indemnisation et ne s’offusquent pas tant que cela de l’expropriation. C’est la position de l’Union Industrielle qui a finalement appuyé l’expropriation mais qui demande que soit respecté les étapes institutionnelles, juridiques et administratives pour garantir le bon déroulement du processus. (Clarin du 26 avril). Le gouvernement argentin a indiqué qu’il payerait les actions expropriées et que le prix reste à déterminer. C’est intéressant de noter que c’est une différence significative avec ce qui s’est passé pour d’autres expropriations en Amérique Latine qui étaient des étatisations et des nationalisations. Quand Allende a nationalisé le cuivre, il a affirmé que l’état ne payerait pas un centime parce que les entreprises nord-américaines avaient pillé le pays et que c’étaient elles qui devaient encore de l’argent au pays.

Du point de vue du fonctionnement de l’économie capitaliste, des relations entre les classes, de la nation opprimée et de l’impérialisme, l’expropriation de 51 % de Repsol ne constitue pas une nationalisation, ni une étatisation. Comme dans beaucoup de pays producteurs de pétrole, la nouvelle entreprise YPF sera une entreprise privée avec une majorité du capital public (Etat et Provinces) et avec une participation du capital privé national et international, incluant des fonds de pension qui seront associés à la gestion.

D’un autre côté, la loi d’expropriation de Repsol mentionne « l’intérêt public de l’autosuffisance énergétique ». Mais les conditions structurelles de la production et de la commercialisation d’énergie ne seront pas modifiées et il n’y aura pas de monopole étatique. Il n’est même pas question de revenir sur l’abandon de la propriété étatique des puits de pétrole décidée par le gouvernement de Menem avec l’appui du gouverneur de Santa Cruz Nestor Kirchner qui à l’époque était une condition pour engager la privatisation d’YPF.

La loi indique qu’il sera recherché « l’intégration du capital public et privé, national et international dans des alliances stratégiques » (souligné par nous). YPF ne contrôle que 37 % de la production de pétrole du pays et le reste est opéré par les grands groupes nationaux et internationaux. (Petrobras, Bulgheroni, Exxon, Total).

Le gouvernement a nommé deux commissaires : le ministre Julio de Vido et le viceministre de l’Economie et dirigeant de la Campora, Axel Kicilof. Le rôle de de Vido dans tout le processus de soutien aux privatisations et aux grandes opérations immobilières est bien connu. Kicilof apparaît au contraire comme un jeune rebelle, inspirateur direct de Cristina Kirchner et de ses mesures récentes.

Une des premières activités de Kicilof a été de rencontrer les entités ayant des contrats avec YPF et avec les autres opérateurs pétroliers pour leur promettre que les activités allaient continuer et s’amplifier significativement. Il a rencontré Medanito, Conoco Phillips, Cehvron, Talisman, Exxon et Total. Selon le journal La Nacion du 27 avril : « Les rapports envoyés par les banques internationales aux sièges des multinationales mentionnent que le Viceministre de l’Economie leur a fait passer des messages rassurants et que les expropriations n’iront pas au-delà et que le gouvernement a bien l’intention de respecter ses engagements financiers. »

Selon la presse argentine, le Ministre des travaux publics Julio de Vido (le jeudi 19 Avril) a rencontré le viceprésident de l’Exploration et de l’exploitation du continent américain de l’entreprise Total, Ladislas Paszkiewicz, avec qui il a convenu d’entamer des négociations pour que la production de gaz atteigne 2 millions de mètres cubiques par jour dans les gisements dans lesquels YPF et Total sont associés. » (La Nacion, 22 avril). Total est le second opérateur de gaz du pays et est très actif pour développer l’exploration et l’exploitation de gaz et de pétrole de schiste. En tout, Total y possède une participation dans 8 permis d'exploration, dont 6 en tant qu'opérateur. L'ensemble représente une superficie totale de 1 548 km.

Ainsi Total qui est freiné en France sur l’exploitation du gaz de schiste va pouvoir le faire à grande échelle en Argentine. Pour rappel, les techniques de forage sur les gisements de pétrole et gaz de schiste provoquent des dégâts très graves à l’environnement. Mélangée à du sable (pour maintenir les fractures ouvertes et faciliter le drainage du gaz) cette eau contient aussi des additifs chimiques, destinés à tuer les bactéries, faciliter le passage du sable et accroître la productivité du puits. Ces additifs sont riches en sels corrosifs et en produits cancérigènes comme le benzène.

A force de creuser, les foreurs traversent parfois des terrains comprenant des minerais radioactifs (uranium, radium). Une radioactivité qui finit par remonter. De 10% à 40% de l’eau et des déchets de forage (boues, sables) sont ramenés en surface pour, officiellement, y être traités. Ce qui explique, en partie, la noria de camions qui s’agite autour de chaque forage.

Les communautés Mapuche qui vivent sur les territoires menacés par ces explorations se sont déjà manifestés pour dénoncer activement les risques de contamination et les atteintes que cela porterait à leur environnement. Les luttes sur la défense de ces territoires ne fait que commencer et Calpa les soutiendra.

En matière énergétique, le point clé est actuellement l’exploration et l’exploitation des gisements de Vaca Muerta. Selon diverses sources, la production énergétique extraite de ce gisement pourrait combler le déficit actuel du pays. Vaca Muerta est considérée comme l'une des réserves d'hydrocarbures non conventionnelles (pétrole et gaz de schiste) parmi "les plus grandes et de la meilleure qualité au monde". Grâce à cette zone, l'Argentine a été placée troisième au monde pour ce type d'hydrocarbures, derrière les Etats-Unis et la Chine, selon une étude de département américain de l'Energie. Presque aussi étendue que Taiwan, la zone de Vaca Muerta a une superficie de 30.000 km2, dont 12.000 km2 sont détenus par YPF. La partie la plus grande se trouve dans Neuquén et l'autre dans Mendoza, deux provinces frontalières du Chili. Le démarrage de l’exploitation va nécessiter un minimum de trois ans d’investissements qui seraient de l’ordre de 15 à 60 milliards de dollars. C’est une des « alliances stratégiques » prévues par la politique du gouvernement. Les grandes multinationales négocient une loi spéciale garantissant leurs investissements pour les prochaines cinquante années à venir. Ils veulent un contrat du type de celui que le gouvernement Kirchner a concédé pour les exploitations minières. C’est la base de travail.

Confiscation de Repsol, anti-impérialisme et régime capitaliste

Nous avons vu que la confiscation des 51 % des actions de Repsol est une mesure partielle et limitée d’attaque et de confrontation avec Repsol et le capital espagnol en général. On peut l’étendre à d’autres entreprises, comme celles d’électricité Endesa, qui était espagnole quand elle est intervenue dans les privatisations et qui est maintenant italienne.

Ces mouvements forment partie des turbulences de la crise capitaliste. Le régime politique du capitalisme argentin prétend réorganiser les conditions de soumission à l’impérialisme et il le fait en aggravant les contradictions économiques, sociales et politiques. L’accentuation du bonapartisme personnel de la part du gouvernement est un des éléments d’explication avec sa dose d’aventurisme.

Dans l’immédiat, le gouvernement affronte les dégâts de la politique sauvage de privatisations des années quatre vingt dix. Il veut diminuer radicalement les aides publiques. Il doit affronter aussi un grave déficit extérieur en matière énergétique qui met en péril tous les équilibres financiers du pays. Les importations de matières énergétiques ont atteint 9 milliards de dollars en 2011 et on les estime entre 12 et 14 milliards de dollars cette année. Il y a désormais un déficit de la balance de payement et tout le modèle de payement de la dette extérieur et du financement des sortis de capitaux est menacé. Pour assurer sa permanence, il faut incorporer de nouveaux financements : ANSES (fonds de pension étatisés), réserves de la Banque centrale et aujourd’hui YPF.

Le terrible accident de train de la gare Once a mis dramatiquement en évidence les conséquences des privatisations, du soutien des groupes capitalistes maffieux associés à l’Etat et à la politique kirchneriste. D’une certaine manière, nous le constatons maintenant dans la politique énergétique : baisse de la production, épuisement des réserves, atteintes graves à l’environnement, en résumé : détérioration productive, sociale écologique, nationale. La politique d’extraction minière reproduit le même schéma.

L’expropriation de Repsol est donc une tentative de réorganisation anarchique et brouillonne. Le modèle des grandes entreprises dont la majorité du capital est détenu par l’Etat est appliqué maintenant dans la plupart des pays producteurs de pétrole et il s’accommode très bien de la domination du grand capital avec des conflits spécifiques au régime capitaliste. Comme le rappelle un économiste argentin : « Les compagnies étatiques d’Iran, d’Arabie Saoudite, du Venezuela, du Koweit, de la Russie, du Qatar, de l’Irak, de l’Union des Emirats Unis, de la Libye, de la Chine et du Nigeria figurent parmi les principales propriétaires des réserves prouvées de gaz et de pétrole. (Rolando Astarita. Rebelion, 24 avril). Le nouveau régime de YPF n’est même pas un monopole d’Etat. Le gouvernement prétend stabiliser sa relation avec le grand capital en ouvrant de nouveaux gisements et en rénovant les contrats d’association. Il est douteux qu’il puisse y arriver dans les conditions actuelles de la crise.

C’est pourquoi, nous ne partageons pas les analyses qui défendent l’initiative du gouvernement qui ouvrira un nouveau chapitre de l’histoire pétrolière, même s’ils affirment que « ce n’est qu’une partie du jeu » (Claudio Katz 21 Avril). Nous croyons au contraire que le gouvernement a atteint son objectif.

L’expropriation de Repsol dans YPF fait partie du processus chaotique de recomposition de l’économie dans la crise. Il consacre la décadence de l’impérialisme européen et espagnol, en particulier, là où c’était son « domaine réservé », l’Amérique Latine. D’où la réaction furibonde espagnole. La réaction européenne a été dure mais la réaction américaine a été modérée. L’Espagne voulait une déclaration de condamnation de l’Assemblée du FMI et elle ne l’a pas obtenu dans les termes prévus. « C’est une affaire bilatérale entre deux pays et c’est une décision émanent d’un pays souverain. » Ce sont les termes utilisés par le Chef du Département occidental du FMI, Nicolas Eyzaguirre (Clarin, 21 Avril). Il en a été de même pour la déclaration des ministres de l’économie du G20.

Contre l’impérialisme

Nous défendons le droit du gouvernement argentin d’exproprier Repsol, d’exproprier 100 % du capital privé de l’énergie et des services publics et de ne pas payer un seul centime pour ces expropriations. Nous défendons le droit du peuple argentin à se défendre du pillage impérialiste et des catastrophes écologiques. Que les capitalistes payent leur crise !

Nous nous prononçons contre toute intervention et menace de l’Union Européenne, du gouvernement espagnol et du gouvernement français. Nous défendons le droit des argentins à décider d’exproprier le capital étranger et à se protéger de toute attaque impérialiste et des institutions internationales.

27 Avril 2012

* Marcelo Nowersztern. CALPA (Comité d’appui aux luttes du peuple argentin).

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