M. Colloghan

samedi 7 avril 2012

L'anarchisme au Pérou

Ce texte est en fait un extrait du livre, en espagnol, « El anarquismo en America Latina » de l’anarchiste argentin Angel Cappelletti (1927-1995). Cet extrait va de la page XCVIII à la page CXII.
Angel Cappelletti
Traduction Gilles Ozanne*

Socialisme utopique, marxisme et anarchisme s'associent au Pérou avec trois personnages remarquables de l'histoire littéraire: Flora TRISTAN, José Carlos MARIATEGUI et Manuel GONZALES PRADA.

Pour ce sujet, nous n'allons pas parler de Flora TRISTAN et de José Carlos MARIATEGUI, mais avant d’aborder le 3ème, il est important de rappeler que le féminisme de Flora TRISTAN (1) s'est inspiré des écrits d'un des protagonistes de l'anarchisme, William GODWIN (2) et de sa femme, Mary WOLLSTONECRAFT (3) et que le projet de l'Union Universelle des Travailleurs(ses) présenté par elle-même, coïncide avec celui de son contemporain, l'anarcho-communiste Joseph DEJACQUE (4) .

Nous ne pourrons pas non plus ignorer l'influence de GONZALES PRADA sur MARIATEGUI (5), et la survivance, en celui-ci d'un certain agrarisme indigène, centré dans l' « ayllu » (6) (mot d'origine quechua et aymara, communauté composée de plusieurs familles NDT) coïncidant en partie avec les idées de GONZALES PRADA et de FLORES MAGON (coïncidence que les critiques léninistes ne cessent de lui renvoyer à la figure, la qualifiant d'idéalisme romantique (7)). Mais avant de nous occuper de GONZALES PRADA, il faut nécessairement aborder le sujet du mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste au Pérou.

Dans les dernières années du XIXème Siècle, les premiers syndicats ouvriers se sont organisés, dans lesquels on peut remarquer une orientation anarchiste. Une série de grèves partielles impulsèrent l'organisation des premiers congrès ouvriers, en 1896 et en 1901, « où se sont explicitées les plus émouvantes revendications prolétariennes » (8). En 1904, « La Unión de Trabajadores Panaderos », (l'Union des Ouvriers Boulangers) a été fondée grâce au travail des militants anarchistes: URMACHEA, Fidel GARCIA GACITUA, Caracciolo LEVANO et son fils Delfin (9). Pendant cette même année, à Lima, une première grève a été provoquée. Le 1er mai 1905 a été fêté publiquement pour la première fois en commémoration des martyrs de Chicago (10).

Le journal radical Humanidad (Humanité), a commencé à publier, dès 1906, des articles de tendance anarchiste (11). En 1907, les anarchistes ont promu une grève des dockers à Callao (12) (ville portuaire alors proche de Lima et qui fut ensuite directement englobée par le développement urbain de la capitale NDT ), dans celle-ci, est tombé, « le premier martyr de la lutte sociale au Pérou: le camarade Florencio ALIAGA ».

Le « Centro Racionalista (Centre Rationaliste) Francisco FERRER » a donné le jour en 1910 à la revue Páginas Libres (Pages Libres) (qui avait le même titre qu'une oeuvre polémique édité par GONZALES PRADA) et qui ne traitait pas seulement des problèmes pédagogiques mais aussi des problèmes des travailleurs/ses (13). « De 1911 à 1926 est paru le journal, La Protesta (La Protestation), autour duquel se réunissaient les protagonistes anarchistes les plus actifs. Le groupe de « La Protesta » projeta d’améliorer les méthodes d'organisation ouvrière, en impulsant les syndicats. Ainsi est né l'anarcho-syndicalisme qui a eu sa principale base parmi les ouvrierEs du textile » (14).

À l’intérieur du pays, quelques journaux anarchistes ont également commencé à être publiés, comme El Ariette (Le Bélier) d’Arequipa (capitale de la région péruvienne du même nom, et deuxième ville la plus peuplée du pays, située à plus de 2 335 mètres NDT), La Antorcha primero (La torche en premier), et El Rebelde après à Trujillo (15) (ville du Pérou, chef-lieu de la Région de La Libertad NDT). De 1904 à 1906 est apparu, à Lima, Los Parias( Les Parias) de GONZALEZ PRADA. En 1905, dans la capitale, sont sortis aussi, El Hambriento (L’Affamé) et Simiente Roja (Semence Rouge) (16).

En 1912, les anarcho-syndicalistes ont organisé la Federación Obrera Regional del Peru (La Fédération Ouvrière Régionale du Pérou). La première grève générale qui a été promue par des groupes anarchistes dans l'industrie textile en 1911 (17).

La campagne pour la journée de huit heures a été initiée par la Fédération Ouvrière Régionale du Pérou (Lima), intégrée par la Société de Résistance des ouvrierEs des biscuiteries et annexes, la Fédération des Électriciens(es), la Fédération des Ouvriers Boulangers « Estrella del Perú » (Étoile du Pérou), l'Union textile de Vitarte (Carlos Lopez Aldana a fondé l'usine textile Vitarte en 1872 (plus tard CUVISA), qui a abouti à la construction de logements pour les travailleurs(ses) et leurs familles qui ont fondés la ville de Vitarte NDT), l'Union Prolétarienne de Santa Catalina (ville du sud du Pérou NDT) et d’autres corps de métier guidés par les anarchistes, auxquelles se sont unis des groupes anarchistes spécifiques, comme, « Luchadores por la Verdad (Lutteurs/euses pour la Vérité) (qui publiait le journal La Protesta) et « Luz y Amor » (Lumière et amour) (qui éditait des tracts de propagande révolutionnaire). Dans le local de l' « Unión General de Jornaleros (Union Général des Journaliers) de Callao ont commencé les réunions durant les derniers jours de novembre 1912 et dans le théâtre municipal de la même localité fut menée à bien la première assemblée générale pour discuter des revendications qu’ils/elles auraient à présenter. Mais ici, n'étaient pas seulement présente la Fédération Ouvrière Régionale du Pérou et les différents courants libertaires, mais aussi les représentantEs d'une entité « jaune » très connue, la « Confederación de Artesanos Unión Universal (Confédération des artisanEs Union Universelle) », lesquelLEs se sont opposéEs à l'action directe projetée tandis qu’ils/elles favorisaient le chemin battu des requêtes et des pétitions au pouvoir public. Le 15 décembre, dans la deuxième assemblée générale, réunie dans le « Chapiteau de la Mode », les anarchistes sont parvenus à inclure dans l'ordre du jour, une motion en faveur de la journée de huit heures, qui a été unanimement approuvée. Le 28 du même mois, durant la troisième assemblée, s'est concrétisé, de manière définitive, le cahier de revendication et les exigences des travailleurs/euses furent clairement exprimées (18).

La campagne était faite. L’enthousiasme, la solidarité, le réveil de la conscience ouvrière, avaient répondu à la proclamation de la lutte et de la défense collective entonnée par la relève des héroïques martyrs de Chicago. La grande diffusion de journaux et de tracts de propagande libertaire et syndicaliste, autant que les conversations et conférences des camarades du groupe anarchiste éditeur de La Protesta et de la Fédération Ouvrière Régionale du Pérou avaient couronné l’oeuvre. Le 5 janvier 1913, l'Union Générale des Journaliers a exigé: la journée de huit heures, l'augmentation des salaires, l'assistance médicale pour les accidents du travail, etc. et a accordé un délai de 24 heures, au bout duquel, si les exigences n'étaient pas satisfaites, commencerait une grève à durée indéterminée. Le 6, l'assemblée ouvrière a rejeté la contre proposition patronale, et le 7 la grève générale a commencé. Aux journaliers, se sont unis solidairement les typographes, les boulangers, les métallurgistes, les meuniers et les Gaziers de Callao (19).

Le 9, le président de la république exhorta les travailleurs/ses à reprendre le chemin du travail, en appelant évidemment à leur patriotisme et en mettant l'accent sur le préjudice causé à l'industrie nationale naissante (dont les capitaux étaient cependant étrangers). La Commission de Grève a refusé l'exhortation présidentielle et, sans se laisser intimider par les menaces du gouvernement, incarnées par les forces d'infanterie et d'artillerie qui étaient arrivées de la capitale, a décidé de continuer le débrayage. Cette attitude ferme a amené le triomphe: l'entreprise minotière et les docks ont du accepter la réduction de la journée à huit heures, ils ont également concédé une augmentation de 10% des salaires. Ils ont également décidé d'organiser un service médical pour les travailleurs (ses). Une telle victoire a encouragé d'autres corporations : les meuniers, les typographes, les gaziers, les travailleurs des usines de boisson, etc. ont commencé aussi leur combat revendicatif. Les anarchistes, quasiment les seuls promoteurs/rices de toutes ces luttes syndicales, ont fait la preuve de l'efficacité de leurs méthodes d'action directe.

Le 12 janvier, La Fédération Ouvrière Régionale du Pérou et le groupe de « La Protesta » ont organisé un grand meeting pour célébrer le triomphe obtenu et pousser à la continuité de la lutte. Après avoir écouté la prise de parole des militantEs les plus combatifs/ves, la foule a gagné les rues de la ville portuaire « aux prises d'un enthousiasme indescriptible portant la bannière rouge du travail » (20). L'influence idéologique du vigoureux anarchisme argentin s'est faite évidente dans ces mouvements grévistes. Le seul fait qu’ils aient été initiés avant tout par la FORP (Fédération Ouvrière Régionale du Pérou), nom analogue à la FORA (Fédération Ouvrière Régionale Argentine) et le journal « La Protesta » (homonyme du journal anarchiste de Buenos Aires) l'indique avec beaucoup de clarté. Mais il y a plus: dans tout ce mouvement ont participé, comme orateurs, agitateurs et organisateurs, deux ouvriers italiens immigrés en Argentine qui ont voyagé au Pérou expressément envoyés par la FORA: José SPAGNOLI et Antonio GUSTINELI. Malgré les efforts populistes du président Billing-Hurst (à la présidence du Pérou de 1912 jusqu’en 1914), qui se combinaient avec les menaces et la déclaration de l'état de siège à Lima, la vague de grève n'a pas pu être arrêtée. Les anarchistes ont animé une série de mouvements de revendications qui ont obtenu beaucoup d'échos chez les travailleurs/ses et qui ont donné partiellement des résultats triomphants à Talara (La province de Talara est l'une des huit provinces de la région de Piura, au nord-ouest du Pérou. Son chef-lieu est la ville portuaire de Talara NDT), Negritos (ville Péruvienne), Loritos et Lagunitas. La FORP a décidé un boycott portuaire contre la compagnie DUCAN FOX Y COMPAÑA, l'obligeant à réincorporer soixante ouvriers licenciés (21). Cependant, en 1919, le mouvement ouvrier a obtenu, guidé par les anarchistes, l'implantation définitive de la journée de huit heures dans tout le pays (22).

Durant la première guerre mondiale, les propriétaires terriens Péruviens se sont enrichis grâce à la grande demande de produits agricoles tropicaux, comme le sucre et le coton. Par contre, les salaires des travailleurs/ses ruraux/ales et urbainEs sont restés très bas en même temps que le coût de la vie augmentait à cause de la spéculation des commerçantEs (qui ont utilisé la guerre comme prétexte) et à cause de la diminution des cultures de céréales (blé, riz, etc.). En avril 1919, les anarchistes ont animé une campagne de lutte pour la baisse des prix des subsistances, populairement connue comme « el paro del hambre » (la grève de la faim). Une assemblée, réalisée le 13 de ce mois dans le parc Neptuno, dans laquelle ont parlés différents activistes libertaires (D. LEVANO, CONDE, CESPEDES, etc.) ont résolu de publier un manifeste qui exigeait la baisse des prix des produits alimentaires, des prix des billets de tramway et de train, des impôts qui faisaient augmenter les prix des produits de première nécessité, des loyers, etc. (23)... Le 1er mai, devant le refus du gouvernement de Pardo (président de la République du Pérou, du 2 août 1872 au 2 août 1876 et ministre péruvien de l'Économie NDT) ne serait-ce que de discuter des exigences prolétariennes, les différents corps de métier qui avaient signé le manifeste (comme la Fédération des tisseurs/ses, des ouvriers de la construction, des cordonniers, des boulangers et d’autres, dans toutes lesquelles prédominait l'influence anarchiste) ont déclaré la grève générale. Une manifestation de protestation contre l'intransigeance gouvernementale et patronale a été violemment réprimée le 4 mai à Lima (24). Pas moins contondante fut la grève à Callao, où beaucoup ont arrêté leur travail sur les quais, les plages, dans les comptoirs, et à la douane; les commerces de la place du marché furent pillés; les bateaux qui devaient lever l'ancre furent empêché de le faire; et les troupes de l'armée, unies à celles de la Marine, se heurtèrent aux ouvrierEs non sans qu’il y ait plusieurs morts et blessés dans les deux camps. Les principaux dirigeants, tous anarchistes (GUTARRA, FONKEA, BARBA, etc.), ont été emprisonnés. À Chosica (quartier de la Province de Lima NDT) aussi les troupes se sont affrontées aux travailleurs/ses); deux d'entre eux/elles ont été tuéEs et beaucoup d'autres ont été blesséEs. Immédiatement après, la police séquestrait dans leurs maisons, les plus connus des militants(es) anarchistes. Le président Prado, pris de panique devant les foules en colère, décréta la loi martiale et mit le colonel Pedro Pablo MARTINEZ à la tête de la répression. Mais tout cela n'a pas été suffisant. Le gouvernement et les dirigeants de l'industrie et des banques n'ont pas tardé à remarquer un renoncement des soldats de leurs troupes à se battre contre les travailleurs/ses, et ils furent obligés de créer une nouvelle force anti-émeute, appelée Garde Urbaine. Le Comité de Lutte pour la baisse des prix des produits de subsistance a décidé, de toute manière, de continuer le blocage jusqu'à ce que le gouvernement ait accepté de consentir aux exigences présentées et de remettre en liberté les activistes détenuEs. Un peu plus tard, le 8 juillet, le président Prado a été destitué. Le peuple est sorti dans la rue et a renouvelé énergiquement ses demandes. Le 12 de ce mois, les libertaires GUTARRA, FONKEA et BARBA ont été remis en liberté et l'assemblée populaire, de nouveau réunie au parc Neptuno, les a reçu avec des manifestations de joie. Quelques jours plus tard, le Comité de Lutte pour la baisse des prix des produits de subsistance a engendré une nouvelle centrale ouvrière, appelée « Fédération Ouvrière Régionale Péruvienne » (FORP). Le 22 juillet, elle fit connaître une déclaration de principes, clairement modelée par l'idéologie anarchosyndicaliste.

« La grève de mai de l'année 1919, a atteint les contours de l'épopée par la trempe des dynamiques dirigeants qui ont réussi à conduire les destinées de la classe ouvrière vers le droit chemin de la vérité et de la justice. Elle a permis de compulser la nécessité indispensable que seule la solidarité, en marge des intérêts subalternes, peut unir en un mouvement puissant la masse compacte des travailleurs/ses » (25).

Mais, l'activité des anarchistes ne se limitait pas au milieu urbain. En 1915, ils/elles sont intervenuEs pendant la grèves des travailleurs/euses du sucre de la vallée de Chicana, qui, comme les précédentes, a été violemment réprimée par les forces armées. La réforme universitaire, initiée à Lima en 1918, a mis en relation, pour la première fois dans une action concertée, ouvrierEs et étudiantEs, comme cela se passait à Córdoba en Argentine et à Santiago au Chili. Les ouvrierEs que les étudiantEs qui cherchaient ce rapprochement étaient, dans leur majorité, anarchistes (26). En 1923, un groupe anarcho-syndicaliste, a tenté d’organiser une « Fédération Régionale des Ouvriers Indiens », tentative rapidement réprimée par le gouvernement, qui l'a considéré d’une particulière dangerosité (27).

En 1920 se sont créées les universités populaires, dirigées par Victor HAYA de la TORRE, sous l’invocation de Manuel GONZALES PRADA. Elles ont été fréquentées, tout au moins au début, par beaucoup de travailleurs/euses anarchistes, qui étaient attiréEs sans aucun doute par les idées du personnage éponyme, et pas tant celles du brillant recteur. Durant la même année, un congrès ouvrier national a décidé d'adopter comme guide pour l'action collective l'idéologie anarchiste et a publié ses résolutions dans El Proletariado.

Le président LEGUIA, qui se proposait de renouveler le capitalisme, en laissant de côté dans une certaine mesure la vielle oligarchie, apparut pendant un temps comme étant un gouvernant progressiste, il laissa en liberté les prisonnierEs politiques et syndicaux/ales et est allé jusqu'à provoquer une certaine division dans le mouvement ouvrier. Mais l'appui qu'il a obtenu dans quelques secteurs de la classe ouvrière a été passager. Il a commencé très vite à adopter une série de dispositions contraires à la dite classe et aux organisations syndicales (28). Les anarcho-syndicalistes furent durement répriméEs. URMARCHEA, directeur du journal « El Proletario » (Le Prolétaire) a été condamné à l'exil, en même temps qu'un groupe de militantEs. En 1930, autour de LEGUIA qui a été renversé par SANCHEZ CERRO (chef d'État du Pérou en 1930 avant de devenir président du Pérou un an plus tard après son élection NDT), s'est organisée une nouvelle centrale ouvrière, la Confédération Générale des Travailleurs du Pérou (CGTP) dans laquelle prédominaient alors les éléments apristes (la première organisation politique “apriste” est créée en 1927 à Paris (Centre des Études Anti impérialistes de l' APRA); finalement, le "Parti Apriste Péruvien" (PAP), est fondé le 20 septembre 1930, ce qui lui confère une base nationale pour opérer au Pérou. L'Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine reste quant à elle un mouvement à ambitions continentales, essaimant ses idées dans chaque pays d'Amérique latine NDT) et marxistes, et où il ne persistait seulement que quelques restes de la précédente militance anarcho-syndicaliste.

Au Pérou, l'idéologie anarchiste était liée, comme nous l'avons dit, à une des plus grande figure de la littérature nationale: Manuel GONZALEZ PRADA. Max NETTLAU voit en lui, avec bon sens, « un vieux libéral qui assimila graduellement les idées anarchistes et qui a caractérisée son oeuvre, depuis son point de vue d'historien de l'anarchisme, sous cette forme: « Il a été catégorique dans sa lutte contre le concept d'autorité et, à mon avis, de manière persuasive. Son oeuvre, comme celle de Rafael BARRETT, me démontre la valeur de ces anarchistes qui propageaient leurs convictions directement, sans sentir quelque pression que ce soit de la part des corps de métier ou des groupements. De tels hommes vont droit contre le concept d'autorité, qu’ils critiquent en détail avec un raisonnement absolu et qu’ils rendent inutile sans pitié » (29). La comparaison avec BARRETT pourrait se prolonger à d’autres aspects de leurs oeuvres, sans oublier les styles littéraires respectifs, qui font d'eux deux des plus brillants prosateurs latino-américains de l'époque (30).

Manuel GONZALEZ PRADA y ULLOA est né à Lima, le 5 janvier 1844, au sein d'une famille aristocrate (31). Il a reçu une éducation plus que catholique, cléricale, et a commencé une carrière ecclésiastique dans le séminaire de Santo Toribio, où il a été compagnon d'étude de Nicolas de PIEROLA (Ministre des Finances (1868 - 1871). À la fin des années 1870, il mène une rébellion farouche contre le président Mariano IGNACIO PRADO, mène avec succès un coup d'État, et s'autoproclame Commandant suprême de la République entre 1879 et 1881 NDT), futur président qu'il appellera, dans des vers tant caustiques que gracieux, « dictateur de hasard » (32).

Sa première définition idéologique provint précisément de son éducation cléricale. Son libéralisme a été, avant tout, anticléricalisme. On ne doit pas oublier cependant, qu’à la configuration des idées libérales de sa jeunesse n’a cessé de contribuer un bref mais passionné contact avec les littératures anglo-saxonne et allemande au collège anglais de Valparaiso (port et ville chilienne). Peut être que l'étude du Droit Romain, qu'il a entreprise plus tard dans le convictorio (collège) de San Carlos de Lima, a servi de base à sa critique indéclinable de l'état, comme garantie de toutes les inégalités sociales. Quand il a déserté le dit convictorio, renonçant aussi à la carrière juridique, il s'est converti, comme le dit Alberto SANCHEZ, en un « outlaw dynastique » (33).

Une catastrophe historique est survenue alors dans la vie et le déroulement idéologique de celui qui professait alors un libéralisme radical: la guerre entre le Pérou et le Chili qui a commencée en 1879, durant laquelle il a combattu. Le Pérou a subi une déroute complète et sa capitale s'est vue occupée -cas exceptionnel et quasi unique dans l'histoire de l'Amérique Latine indépendante- par l'armée d'un État voisin.

GONZALEZ PRADA ne pouvait éviter l'évocation de la récente déroute de la France face à l'Allemagne. Son libéralisme a été revêtu ainsi d'un nationalisme enflammé; son internationalisme naissant s'est converti en une haine contre l'envahisseur, mais, plus que tout, à l'encontre de son compatriote responsable du désastre belliqueux et de l'humiliation collective.

À aucun moment, néanmoins, il n'a abjuré la rationalité ni n'a renoncé à l'autocritique: « La main brutale du Chili a mit en pièces notre chair et a brisé nos os; mais les véritables vainqueurs, les armes de l’ennemi, ont été notre ignorance et notre esprit de servitude » (34). En 1890, il regrettait encore les circonstances morales de la guerre, « le découragement, la petitesse d'esprit, la conformité avec la déroute et l'ennui de vivre honnêtement » (35), et ne cessait de penser à la vengeance: Armons nous de la tête aux pieds et vivons en formidable paix armée ou en état de guerre latent » (36). De telles idée et sentiments ont une facile explication psychologique, bien qu’elle ne le soit pas sur le plan de la logique dans un contexte de libéralisme radical, nécessairement universaliste, dont la valeur suprême n'est pas la nationalité mais l'humanité. GONZALEZ PRADA, lui même, constatait la contradiction et tentait de la résoudre de la manière suivante: « Rien de plus beau comme faire tomber les frontières et détruire le sentiment égoïste des nationalités pour faire de la terre un seul peuple et de l'humanité une seule famille. Tous les esprits élevés et généreux convergent aujourd'hui vers le cosmopolitisme, tous répéterait comme SHOPENHAUER que « le patriotisme est la passion des niais(es) et la plus niaise des passions ». Mais, en attendant qu'arrive l'heure de la paix universelle, en attendant que nous vivions dans une contrée d'agneaux et de loups, il faut marcher conscients pour se montrer agneau avec l'agneau et loup avec le loup » (37). On remarque dans les textes de GONZALEZ PRADA, une lutte intérieure, un déchirement, une tension évidente: d'une part, il invoque la sainteté de la guerre, et d'une autre voit en elle « l'ignominie et l'opprobre de l'humanité » (38).

Si nous faisons abstraction de ce nationalisme « exogène », induit dans la dimension émotionnelle par la déroute et les humiliantes séquelles de l'invasion étrangère, on peut se dire cependant, que les idées sociopolitiques ont évoluées dans un mode logique et, jusqu'à un certain point, prévisible. À partir du libéralisme initial, dont la principale manifestation est l’attitude anticléricale, il est passé à un radicalisme, plus proche de l'espagnol, de RUIZ ZORILLA (1833 -1895, homme politique espagnol, député, puis Ministre durant la 1ère République, et enfin chef de gouvernement sous Amédée 1er NDT) que de l'argentin de ALEM E YRIGOYEN (1852-1933, homme politique argentin et grande figure de l'Union Civique Radicale, président de son pays à deux reprises, de 1916 à 1922 et de 1928 à 1930. Premier président argentin à être élu par suffrage secret et universel… et masculin NDT) (39). Le Parti Union Nationale (Partido Unión Nacional), qu'il a fondé à Lima, ressemblait, plus qu'à tout autre, au Parti Radical Chilien (Partido Radical Chileno).

Désormais on peut distinguer un transit graduel jusqu'à l'anarchisme qu'il conclut en pleine auto-conscience. Sans jamais abjurer de son anticléricalisme ni céder sur ses dures critiques sur l'église catholique, il a accordé chaque fois plus d’intérêt à ce qui s’appelait alors « la question sociale ». Il a commencé à dénoncer l'exploitation des indiens, s'est préoccupé de la misère des travailleurs/ses urbainEs et ruraux/ales, il a encouragé la formation de « sociétés de résistance » dans la classe ouvrière naissante, a questionné avec plus de vigueur que jamais le pouvoir politique et l'essence même de l’État, plus au delà de toutes les nuances juridiques et constitutionnelles.

La faiblesse philosophique de son anarchisme (et même de son préalable libéralisme radical), était due en grande partie au positivisme dans lequel il cherchait (comme beaucoup d'anarchistes de l'époque) ses fondements. Il observait l'utilité de celui-ci dans la lutte contre l'église catholique, la tradition hispanomonarchique, le persistant féodalisme, les résidus de la culture coloniale. Mais il n'arrivait pas à voir avec clarté le côté réactionnaire de la pensée de Comte (Isidore Marie Auguste François Xavier Comte, philosophe français, 1798-1857 NDT) et de TAINE (Hippolyte Adolphe Taine, philosophe et historien français, 1828-1893 NDT). Il admirait en l'ex-séminariste RENAN (Joseph Ernest Renan, 1823-1892, écrivain, philologue, philosophe et historien français NDT) l'historien qui avait réussi à réduire la personnalité de Jésus à ses dimensions humaines, mais il ne comprenait pas les conséquences sociales et politiques de son élitisme scientifique et racial, que Nolte ( historien et philosophe spécialiste des mouvements politiques de l'entredeux-guerres, en particulier des fascismes NDT) considère comme une des racines historiques et idéologiques du fascisme. Il appréciait l'évolutionnisme de Spencer (1820-1903, philosophe et sociologue anglais NDT), qui proclamait le passage de la société militaire à l'industrielle, mais n'arrivait pas à observer son racisme latent (et quelques fois manifeste). Cela ne doit pas trop nous étonner quand, par la suite, Kropotkine lui même (1842 -1921, anarcho-communiste, géographe et scientifique NDT) l’occulta.

Le sens de l'anticléricalisme de GONZALEZ PRADA était, en tout cas, très clair. La mentalité féodale et absolutiste des conquistadors espagnols persistait au Pérou au sein même de l'église catholique et avait beaucoup de porte-paroles, quelques fois affichés, chez la majorité de ses évêques, théologiens et pédagogues. Grâce à eux l'éducation des enfants et des jeunes, les relations familiales, les lettres et toute la culture se développaient conformément aux normes vieux jeu et aux valeurs périmées de la colonie. Au travers de la chair et du confessionnal Felipe II (roi d’Espagne NDT) continuait à régner.

Même s'il n'arrivait pas exactement la même chose dans tous les pays d'Amérique Latine, le Pérou, comme l’Équateur et la Colombie, était une république monastique. GONZALEZ PRADA a considéré durant presque toute sa vie ceci comme le principal obstacle au développement spirituel de son peuple. L'éducation catholique, l'école conventuelle, la pédagogie jésuite ont été l'objet de ses critiques les plus acérées et de ses ironies les plus féroces. Il savait, comme LEIBNIZ (Gottfried Wilhelm Leibniz, 1646-1716, philosophe, scientifique, mathématicien, logicien, diplomate, juriste, bibliothécaire et philologue allemand NDT), que « le maître de l'éducation est le maître du monde », et n'ignorait pas que les moines et les soeurs « travaillaient comme les fourmis blanches dans la charpente d'une maison ou les madrépores dans l'eau de mer » (40). Il dénonçait, bien sûr, dans les écoles féminines ce que n'importe quelle personne cultivée et sensée a pu constater, mais que quasiment aucune n'a osé dénoncer: que « la morale des soeurs se réduit à la culture de la vanité; la religion, à l'inconsciente pratique de cérémonies superstitieuses; la science, à rien ou quelque chose qui a autant de valeur que la morale et la religion ». Avec l'esprit caustique d'un Mariano de LARRA(1809-1837, écrivain , journaliste et politicien espagnol et l'un des représentants les plus importants du romantisme espagnol), il décrivait ainsi la culture des élèves des soeurs: « Une demoiselle, avec un diplôme de troisième degré, qui connaît suffisamment de la géographie pour ignorer si on voyage jusqu'à Calcutta par terre ou par mer, et qui connaît des langues l'indispensable pour parler avec peine un français de Gascogne et balbutier un anglais du Canada. La plus appliquée en Beaux Arts arrache du piano des phrases avec des consonances de mirliton, ou peignent (seulement pendant leur séjour au collège) des tableaux qui refondent les images d’Épinal et les vierges de Quito (capitale de l'Équateur NDT). En revanche, toutes les jeunes éduquées par les soeurs deviennent d'illustres brodeuses d’esterlin : elles brodent des chaussons pour le pape qui ne les utilise jamais, des goussets pour le frère qui n'a pas de montre ». Il a souligné « l' internationalisme » négatif des congrégations féminines, leurs avidités pour l'or et leurs « symptômes de cleptomanie », l'alimentation pauvre qu'elles fournissent aux filles « au moment le plus critique de l'évolution organique » (41). D'autre part, « l'éducation des garçons n'a pas introduit moins de vices que l'éducation des femmes ». En termes généraux, l'école catholique était essentiellement réservée aux classes les plus hautes, aux fils de députés, de préfets, de généraux, de ministres ou de « quelconque de ces mulâtres quarterons enrichis par le dol et la concussion ou encombrés par la faveur ou l'intrigue » qui ne peuvent pas tolérer que leurs fils s’effleurent, dans l'école publique, avec les fils de l'artisan et du journalier » (42). Au caractère classiste de l'éducation cléricale doit s'ajouter encore l'inaptitude essentielle des prêtres pour la fonction pédagogique. Pour GONZALEZ PRADA, « le prêtre manque des conditions requises pour exercer le magistère », « l'individu qui vit séparé de ses semblables a donc quelque chose de rigide, marmoréen et antipathique ». Le manque de paternité réelle (biologique), et la carence d'amour féminin, « font du mauvais prêtre une âme en colère, et du bon, un insondable puits de mélancolie ». Rien n'apparaissait à Don Manuel « aussi insupportable que les excentricités hystériques ou les gémissements mielleux des curés, qui ont tous les défauts des vieux garçons et aucune des bonnes qualités féminines: espèce d’androïdes et d'hermaphrodites, ils réunissent les vices des deux sexes » (43). Il notait non sans réussite l'aberrant orgueil des prêtres qui, « non satisfaits de se considérer supérieurs à l'espèce humaine, se prennent pour des sujets de la divinité et même se figurent que Dieu leur accorde de la reconnaissance pour les services qu'ils lui rendent sur terre » (44). Il dénonçait l'institution de l'internat avec des paroles que peu de tous/tes celles et ceux qui l'on enduré pourraient s'empêcher de faire leur: « il est nécessaire de n'avoir pas supporté l'incessante pression d'un règlement puéril et absurde, ne pas avoir été désespéré par l’espionnage du supérieur et la délation du condisciple, ne pas avoir été maculé par le frottement inéluctable avec une foule maladroite ou malveillante, ne pas avoir connue la promiscuité porcine d'un réfectoire ni avoir respiré la fétide et chaude atmosphère d'un dortoir commun, pour louer l'excellence de l'internat » (45). Mais GONZALEZ PRADA ne s'est pas limité à critiquer les institutions et les méthodes pédagogiques, il l'a entrepris surtout, avec le contenu et les fins de l'éducation cléricale. Il refusait la soumission de la science au dogme, la répudiation de toute conception rationaliste, et « plus que jamais de toute philosophie, particulièrement de la grecque, qui continue à résonner dans le monde comme l'hymne triomphal de la raison ». L'enfant était écarté du monde réel, régi par des lois immuables, pour être emmené dans un monde fantasmagorique où règnent des volontés arbitraires et flexibles (46). Passant de l'école à la famille et particulièrement à la femme, il a dénoncé l'influence oppressive du clergé sur elle.

Le 25 septembre 1904, il a prononcé à la loge maçonnique « Stella d'Italia » une conférence intitulée « Les esclaves de l’Église ». En même temps que horreur de la femme, comme « porte de l'enfer, flèche de Satan, Fille du Démon, venin du basilic, ânesse habile, scorpion prêt à piquer » (47), l'église sait la manipuler et la convertir en son meilleur instrument de domination dans la famille et la société. « Personne autant que la femme -a t-il dit- ne devrait refuser une religion qui la déprime jusqu'à la maintenir en perpétuelle enfance ou en tutelle indéfinie ». Et, cependant, cela n'arrive pas ainsi. Avec indignation et frayeur il constatait que « la femme non libérée se dresse contre ses rédempteurs, la victime bénie l'arme et combat en faveur du contrevenant ». Il savait, sans doute par propre expérience, que la femme « ne transige pas avec le libre penseur ou le libertaire et refuse comme ennemi le réformateur qui vient la sauver de l'opprobre et de la disgrâce, proclamant l'annulation du lien matrimonial, pas seulement par un dissentiment mutuel, mais aussi par la volonté d'un seul conjoint », et, en définitive, qu’elle prend partie « pour le prêtre qui jette l’anathème sur les unions libres, et sanctifie la prostitution légale du mariage » (48). Ces idées de GONZALEZ PRADA autour de la relation de la femme et du clergé, peuvent se retrouver dans les récits de beaucoup de radicaux ibériques de l'époque. Il suffit de rappeler deux exemples célèbres: Doña Perfecta (Femme parfaite) de Benito PEREZ GALDOS (le plus grand représentant du roman réaliste du XIXème siècle en Espagne et un des écrivains les plus importants dans la langue espagnole NDT) et O crime do padre Amaro (Le Crime du père Amaro décrit les tourments d'un jeune prêtre envoyé dans la banlieue de Lisbonne et partagé entre sa foi et son désir irrépressible pour une magnifique prostituée NDT) de Eça de QUEIROZ. En GONZALEZ PRADA ils ont fait partie de la lutte, sûrement non conclue aujourd'hui, pour l'égalité des sexes.

Comme ORKHEIMER (1895-1973, juif allemand philosophe - sociologue, célèbre pour ses travaux en théorie critique en tant que membre de «l'École de Francfort» NDT) dans Nuestros Dias (Nos Jours) (49), GONZALEZ PRADA trouvait dans la famille un lieu d'oppression aussi dur que celui de l'état ou encore plus. Il soutenait que dans le mariage vraiment humain, il n'y a pas un chef absolu mais deux membres avec des droits égaux » (50). Plus encore, avec une audace plus que libérale, libertaire, il dénonçait la déformation basique du sexe du fait de la bourgeoisie, disant : « prostituées sont les épouses qui sans amour se livrent au mari, bâtards sont les enfants engendrés entre une dispute et un ronflement, honorées sont les adultères qui publiquement abandonnent l'époux haïssable et constituent une nouvelle famille sanctifiée par l'amour, légitimes et nobles sont les bâtards conçus dans l'extase de la passion ou dans la tendre sérénité d'une affection généreuse » (51).

Passant du milieu familial au politique, il ne cessait de signaler que « les brutales et grotesques dictatures de l'Amérique espagnole sont un produit authentique du catholicisme et de l'éducation cléricale ». Là où l'homme acquiert déjà enfant la conscience de sa propre dignité et où est repoussée la croyance en des autorités infaillibles et des obéissances passives, on ne peut pas penser à l'existence d'un France, d’un Rosas (1793-1877, militaire et homme politique argentin, gouverneur de la province de Buenos Aires NDT), d'un GARCIA MORENO (1821-1875, à deux reprises président d'Équateur en1861-1865 et 1869-1875. Fervent catholique, il consacra son pays au Sacré-Coeur en 1873 et fut assassiné en 1875 NDT), d’un MELGAJERO (1820—1871, militaire et chef d'État bolivien. Président et dictateur de la Bolivie de 1864 à 1871 NDT) (52).

L'église catholique exige la liberté de cultes -disait GONZALEZ PRADA- là où elle est en minorité (en Turquie ou en Angleterre), mais la répudie là où elle a une majorité (en France ou au Pérou). Une telle observation, valide depuis l'époque patristique, continue à être opportune en nos jours postconciliaires: dans les pays officiellement catholiques, comme l'Espagne de FRANCO ou l’Argentine de VIDELA (chef de la dictature militaire en Argentine de 1976 à 1981 NDT), l'église essaie d'assurer sa supériorité dans l'éducation et la culture avec l'appui de l’État ; dans des pays comme la Chine ou l'URSS, officiellement athées, elle réclame avec passion la liberté de culte et de penser.

La critique du clergé, de l'éducation cléricale, des structures patriarcales de la famille, des attitudes gouvernementales qui restreignent ou nient la liberté de publication, etc., n'épuisent pas, cependant, la polémique de GONZALEZ PRADA. Dans une conférence qu'il devait lire lui-même le 28 août 1898 et qui a été interdite par le gouvernement de l’époque, il critiquait et allait jusqu'à ridiculiser celles et ceux qui réduisaient la liberté de penser à l'anticléricalisme, les inquisiteurs/rices laïques qui « ne sortent pas de leur monomanie anticléricale et vivent consacréEs à persécuter les soutanes dans les cellules des soeurs ou à surprendre des jupons dans les chambres à coucher des sanctuaires ». La libre pensée en action signifie beaucoup plus que et implique de poser les questions sociales. Le transit définitif du libéralisme radical à l'anarchisme peut, peut être, se distinguer ici; « Bien que les libres penseurs/euses gardent fidélité à leur doctrine et harmonisent les phrases avec les actes, ils/elles méritent une grave censure quand ils/elles éliminent les questions sociales pour vivre enferméEs dans une irréligiosité agressive ou allant jusqu'à une phobie intransigeante du clergé. Comment ne pas rire des Torquemadas rouges (allusion à Tomás Torquemada,1420-1498, moine dominicain, premier Grand Inquisiteur de l'Inquisition espagnole de 1483 à sa mort NDT) et des Domingo de GUZMAN (plus connu sous le nom de saint Dominique, 1170-1221, fondateur de l'ordre des frères prêcheurs appelés couramment « dominicains » NDT) par antithèse, des inquisiteurs/rices laïques disposéEs à allumer des bûchers et parodier des autodafés ? » (53). Quelques années plus tard, dans un discours prononcé le 1er mai 1905 à la Fédération des Boulangers, au moment de traiter des relations entre l’intellectuelLE et l'ouvrierE, c'est à dire, entre travail mental et travail manuel, il énonçait des thèses clairement kropotkiniennes, en affirmant « qu'il n'y a pas de différence entre le/la penseur/euse qui oeuvre avec l’intelligence et l'ouvrierE qui travaille avec ses mains » et, même plus, qu'il n'existe pas « un travail purement cérébral et un labeur exclusivement manuel » (54), ce pourquoi toute richesse est le résultat du travail commun du muscle et du cerveau. Quelques paragraphes de ce discours, intitulé L'intellectuel et l'ouvrier, paraissent être des commentaires de La conquête du pain. Ainsi, par exemple, celui qui dit: « Les oeuvres humaines vivent par ce qu'ils nous volent de force musculaire et d'énergie nerveuse. Dans quelques lignes ferroviaires, chaque traverse représente la vie d'un homme. En voyageant sur celles-ci, figurons-nous que notre wagon glisse sur des rails cloués sur une série de cadavres ; mais après avoir parcouru des musés et des bibliothèques, imaginons-nous aussi que nous traversons une espèce de cimetière où des cadres, des statues et des livres ne renferment pas seulement la pensée, mais la vie de leurs auteurs » (55). La coopération de l'intelligence et du muscle dans la production de tous les biens signifie, pour GONZALEZ PRADA, l'égalité socio-économique entre l'intellectuel et l'ouvrier, « À l'idée que le cerveau exerce une fonction plus noble que le muscle, nous devons le régime des castes », écrivait-t-il.

En surpassant l’évolutionnisme spencérien, GONZALEZ PRADA, avait confiance en la révolution et croyait en la multitude qui « simplifie les questions, les fait descendre des hauteurs nébuleuses et les confine sur le terrain pratique » ; qui, comme Alexandre, « ne détache pas le noeud, mais le coupe d'un coup de sabre ». Il savait, comme BAKOUNINE, que le révolutionnaire cherche à réveiller les multitudes et à les lancer dans l'action, mais que celles-ci, sorties de leur léthargie, ne se conforment pas avec obéissance au mouvement initial et ont l'habitude d'aller beaucoup plus loin que ce qu'ont voulu celles et ceux qui leur ont donné l’impulsion (56). Avec une pénétration prophétique il disait, peu d'années avant la révolution bolchevique: « Toute révolution qui triomphe tend à se convertir en un gouvernement de la force; toutE révolutionnaire triomphantE dégénère en conservateur/rice ». Et il proposait: « Une fois l'impulsion donnée, les vrais révolutionnaires devraient la suivre dans toutes ses évolutions », même s'il admettait que cela répugne à l'esprit de l'homme et à sa présomption de se croire « révélateur de la vérité définitive ».

Il est clair, pour autant, qu’en parlant ici de « révolution », GONZALEZ PRADA ne se référait pas à ce que qu’on entendait par là dans l'histoire de son pays et de l'Amérique latine, c'est à dire un simple changement de gouvernement ou de régime politique. Mais, également, il est assez clair qu'il ne se traitait pas non plus de l'implantation d'un nouvel État « socialiste », mais de la prise de possession des moyens de production de la part des producteurs/rices. Il se référait au « cri des revendications sociales », à la pâque de l'humanité qui « cesse de s'agiter pour des questions secondaires et demande des changements radicaux ». Et, s'il restait encore quelques doutes à propos de sa conception anarchiste de la révolution, il a ajouté; « Personne n’espère encore que d'un parlement naisse le bonheur des malheureux/euses ni que d'un gouvernement pleuve la manne pour satisfaire la faim de tous les ventres. L’officine parlementaire élabore des lois d’exception et établit des gabelles qui pèsent plus sur celle et celui qui possède peu ; la machine gouvernementale ne fonctionne pas au bénéfice des nations, mais en faveur des bandes dominantes ».

Le prolétariat résoudra la grande question sociale « par le seul moyen efficace: la révolution ». Mais, cela doit rester clair, celle-ci ne sera pas « cette révolution locale qui fait tomber les présidents ou les tzars et convertit une république en une monarchie ou une autocratie en gouvernement représentatif, mais la révolution mondiale, celle qui abolit les frontières, supprime les nationalités et appelle l'humanité à la possession et au bénéfice de la terre » (58). Il ne s’agissait pas, comme nous l’avons déjà dit, de conquérir le pouvoir ou de s’emparer du gouvernement, mais de prendre directement les moyens de production et la terre, « parce que les monopolisateurs, nous les concèderons difficilement de bonne foi et par un élan spontané ».

Une telle idée de la révolution, d'origine kropotkinienne (59), part du concept de la propriété comme vol et comme meurtre, que nous rencontrons aussi chez Proudhon (1809-1865, révolutionnaire français). Celui-ci soutient que « la propriété, après avoir spolié les travailleurs/euses par l'usure; les assassine par l’exténuation », de telle manière que « sans la spoliation et le crime la propriété n'est rien » (60). Avec un style très différent de celui de Proudhon, quoique non moins vigoureux et frappant, GONZALEZ PRADA, exprime la même thèse: « Comme symbole de la propriété, les romains antiques choisirent le symbole le plus significatif : une lance. Ce symbole doit être interprété ainsi: La possession d'une chose ne se fonde pas sur la justice mais sur la force; le possesseur ne discute pas, il blesse à mort; le coeur du propriétaire renferme deux qualités du fer de lance: dureté et froideur. Selon les connaisseurs de la langue hébraïque, Caïn représente le premier propriétaire. Ne nous étonnons pas si un socialiste du XIXème siècle, voyant en Caïn le premier propriétaire terrien et le premier fratricide, se sert de la coïncidence pour en déduire une conclusion épouvantable : La propriété c'est l'assassinat » (61). Bien que dans sa vie GONZALEZ PRADA ait seulement publié deux oeuvres en prose, Paginas Libres et Horas de lucha (que nous avons amplement citées), les idées exposées ici avec tant de courage et autant d'élégance se rencontrent de la même manière dans divers articles libres rassemblés dans des livres posthumes: Nuevas páginas libres (Nouvelles pages libres) et Anarquia (Anarchie), tous deux édités à Santiago du Chili en 1936, et Figuras y figurones (Figures et figures de proue), sorti à Paris en 1938 (62).

GONZALEZ PRADA a exercé parmi de ses contemporains une notable influence littéraire et idéologique. Le narrateur Enrique LOPEZ ALBUJAR (écrivain péruvien 1872-1966 NDT) lui devait son radicalisme, sa préoccupation pour l'indigène, ses idées sur la liberté sexuelle, son anti-militarisme véhément. En 1898, il a présenté à l'Université de San Marcos, pour prétendre au titre de diplômé en Droit, une thèse intitulée L'injustice de la propriété terrienne, qui a été repoussée pour « anarchiste ».

Ayant appartenu au « cercle littéraire » fondé par GONZALEZ PRADA en 1887 et ayant été directement influencées par lui se trouvent les narratrices Mercedes CABELLO de CARBONERA (1843-1909, écrivaine péruvienne NDT) et Clorinda MATTO de TURNER (1852-1909, femme de lettres péruvienne NDT), à laquelle on doit la première nouvelle de thème indigène, Aves sin nido (Oiseaux sans nid). Des poètes comme Carlos G. AMEZAGA (mexicain), Victor G. MANTILLA et MARTINEZ (cubain) et German LEGUIA Y MARTINEZ (péruvien); des peintres de genre comme Abelardo GAMARRA (Le Vagabond) et des folkloristes comme Ricardo ROSSEL (1841-1909, poète et écrivain péruvien NDT) ont été, dans diverses mesures, ses disciples.

José Carlos MARIATEGUI (1894–1930 écrivain et activiste politique péruvien du début du XXème siècle, dont la pensée a marqué durablement les générations postérieures dans tout le continent sud-américain NDT), le principal théoricien du marxisme péruvien, et Victor HAYA de la TORRE, fondateur de l'APRA, ont été des admirateurs de GONZALEZ PRADA et, bien que partiellement et fragmentairement, ont assimilé quelques une de ses idées et se sont appropriées quelques unes de ses critiques sur la société péruvienne. À ce propos, il ne parait pas superflu de rappeler que, dans sa lutte contre le marxisme léniniste qui s'efforçait de les écarter, beaucoup d'anarcho-syndicalistes ont collaboré avec l'APRA de la première époque (tandis que plus tard d'autres affronteront la politique de l'aprisme). Il serait intéressant de rechercher par quels moyens et dans quelle mesure les idées de GONZALEZ PRADA et de l'anarchisme ont influencées la Révolution Péruvienne de 1968, dont un des idéologues principaux l'a caractérisée comme étant non seulement anticapitaliste, anti-impérialiste et antistalinienne mais aussi (un trait notable dans une révolution militaire) comme étrangère à tout nationalisme chauviniste et à tout parti politique traditionnel; et plus encore, comme socialiste et libertaire.

Notes et références bibliographiques :

(1) Vous pouvez lire sur Flora TRISTAN: J. BEALEN. Flora TRISTAN: Feminismo y socialismo en el siglo XIX, (Féminisme et socialisme au XIXème siècle), Madrid, Taurus, 1973 / D. DESANTI. Flora TRISTAN: Vie et oeuvres mêlées, Paris, 1973 / J.L. PUECH, La vie et l’oeuvre de Flora TRISTAN, Paris, Rivière, 1925 / C. FREIRE de JAIMES, « Flora TRISTAN », El correo del Perú, (Le courrier du Pérou), juillet 1875 / J. BASADRE, « Al margen de un libro olvidado », (« À la marge d'un livre Oublié »), Boletín bibliográfico de la Universidad Nacional Mayor de San Marcos, 2-3 1932 / F. del POMAR, El hechizo de San Gauguin, (Le rejet de San Gauguin), Santiago, 1939 / A. TAMAYO VARGAS, Dos rebeldes, (Deux rebelles), Lima, 1946 / La obra principal de Flora TRISTAN, (L’oeuvre principale de Flora TRISTAN), Peregrinaciones de una paria, paru en français en 1838 et traduite de l'espagnol par Emila ROMERO, avec des notes de Jorge BASADRE, publiée à Lima en 1946 / La meilleure biographie de Flora TRISTAN est peut-être celle de Luis Alberto SANCHEZ, Una mujer sola contra el mundo. (Une femme seule contre le monde).
(2) L’oeuvre la plus connue sur William GODWIN est celle de H. N. BRAILSFORD, SHELLEY, GODWIN y su circulo (GODWIN et son cercle), Mexico, F.C.E. 1942 / Vous pouvez aussi consulter: B. CANO RUIZ, William GODWIN, Su vida y su obra, (Sa vie et son oeuvre), Mexico, Editorial Ideas, 1977 / J. A. SABROSKY, From Rationality to Liberation, Wesport, 1979 et D. A. SANTILLAN, William GODWIN y su obra acerca de la justicia política (William GODWIN et son oeuvre au sujet de la justice politique), essai introducteur à la version espagnole (réalisée par Jacobo PRINCE) de la principale oeuvre du philosophe anglais: Investigacion acerca de la justicia politica, Buenos Aires, Americalee, 1945.
(3) Mary WOLLSTONECRAFT a écrit A Vindication of the Rights of Women (1792) oeuvre qui l'a amenée à être la première féministe de l'âge moderne. Cela explique le renouveau d’intérêt qu'il y a de nos jours pour sa vie et ses idées, les divers livres écrits sur elle durant les dernières décennies en sont des preuves, comme, par exemple: M. GEORGE, One Woman's situation (1970); E. Flexner, Mary WOLLSTONECRAFT (1972) ; C. TOMALIN, The Life and Death of Mary WOLLSTONECRAFT (1975).
(4) Joseph DEJACQUE est l'auteur de L'Humanisphère. Utopie Anarchique, oeuvre apparue dans les pages du journal Le Libertaire de New York. en 1858, et, beaucoup plus tard, en 1899, dans un des volumes de la Bibliothèque des Temps Nouveaux de Bruxelles, dirigée par Elisée RECLUS, puis traduite en espagnol, elle est publiée dans la collection Los Utopistas (Les Utopistes), que publiait La Protesta de Buenos Aires, en 1927, avec les préfaces d’Elisée RECLUS et de Max NETTLAU. Vous pouvez lire sur DEJACQUE: Max NETTLAU, L'anarquia a traves de los tiempos, Barcelone, Amigos del libro 1935; Angel J. Cappelletti, El socialismo utópico (Le socialisme utopique), Rosario-Argentine, 1968, chap. V.
(5) L’oeuvre fondamentale de J.C. MARIATEGUI, MARIATEGUI, Siete ensayos de interpretacion de la realidad peruana (Sept essais d'interprétation de la réalité péruvienne), est parue à Lima en 1928, et a été rééditée sur place en 1934 et 1952. Sur MARIATEGUI, vous pouvez consulter: G. ROVILLON, Biobibliografia de José Carlos MARIATEGUI, Lima, 1963 / M. WIESE, José Carlos MARIATEGUI, Lima, 1959 / G. CARNERO CHECA, José Carlos MARIATEGUI, periodista, Lima, 1964 / M. PAJERA BUENO, José Carlos MARIATEGUI, Símbolo, Lima, 1947 / A. TAMAYO VARGAS, « Actualidad y pasado » in Prometeo, Lima juin 1930 / A. BAZAN, MARIATEGUI y su tiempo, Lima, 1969.
(6) Cfr. Wilfredo KAPSOLI ESCUDERO, Ayllu del sol (Ayllu du soleil), Lima, 1984
(7) Cfr. Adam ANDERLE, « La vanguardia peruana y Amauta » in Ultimas Noticias (L'avant garde péruvienne et Amauta (journal fondé par José Carlos MARIATEGUI en 1926 pour offrir un forum d'expression au socialisme, à l'art et à la culture du Pérou et de toute l'Amérique latine), Caracas, 5 avril 1987.
(8) Denis SULMONT, « Historia del movimiento obrero peruano (Histoire du mouvement ouvrier péruvien [1890-1980]) » in Pablo GONZALEZ CASANOVA, Historia del movimiento obrero en América Latina 3, Mexico, 1984. p.279.
(9) Federación Anarquista del Perú (Fédération Anarchiste du Pérou), El anarcosindicalismo en el Perú (L'anarcho-syndicalisme au Pérou), Mexico, Ediciones Tierra y Libertad (Éditions Terre et Liberté), 1961, p.4 Cfr Guillermo SANCHEZ ORTIZ, Delfin LEVANO, Lima, 1985.
(10) Denis SULMONT, op. cit. p. 279.
(11) Federación Anarquista del Perú, op. cit. p.4.
(12) Alberto PLA. op. cit. p. 32.
(13) Federación Anarquista del Perú, op. cit. p.4.
(14) Denis SULMONT, op. cit. p. 279.
(15) Victor ALBA, op. cit. p. 104.
(16) Max NETTLAU, « Voyage libertaire... » in Reconstruir 77, p. 38.
(17) Denis SULMONT, op. cit. p. 279.
(18) Federación Anarquista del Perú, op. cit. p. 5.
(19) Ibid., p. 6.
(20) Ibid., p. 7.
(21) Ibid., pp. 9.10.
(22) Ibid., p.11. (Cf. Denis SULMONT, op. cit. p. 280).
(23) Ibid., p; 13.
(24) Ibid., p. 14.
(25) Ibid., p. 20.
(26) Alberto PLA, op. cit., p. 33.
(27) Victor ALBA, op. cit., p. 104.
(28) Denis SULMONT, op. cit., p. 280.
(29) Max NETTLAU, « voyage libertaire… », p. 38.
(30) Luis DI FILIPPO, « BARRET escritor (écrivain) » en Reconstruir (reconstruire), 101, pp.5-8.
(31) Luis Alberto SANCHEZ, Panorama de la literatura del Perú (Panorama de la littérature du Pérou), Edit. Milla Batres, Lima, 1974, p. 103
(32) Augusto TAMAYO VARGAS, Literatura peruana (Littérature péruvienne), Lima, s/f., José GODART Editor (Éditeur), pp.734-735. Sur l’oeuvre poétique, cf. José GIMENEZ BOYA, « La poesía de GONZALEZ PRADA » en Letras 39, 1948.
(33) Luis ALBERTO SANCHEZ, « La prosa (prose) de Manuel GONZALEZ PRADA », Prologo a Paginas Libres (prologue à Pages Libres)-Horas de lucha (Heures de lutte), Caracas, 1976, p. X.
(34) Manuel GONZALEZ PRADA, Pages Libres, Caracas, Bibliothèque Ayacucho, 1976.
(35) Manuel GONZALEZ PRADA, Pages Libres, p. 49.
(36) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, Caracas, 1976, p. 219.
(37) Manuel GONZALEZ PRADA, Pages Libres, p. 53.
(38) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, p. 220.
(39) Dans le radicalisme argentin, cependant, comme aussi dans le battlisme uruguayen (c’est le nom donné à un courant du Parti Colorado de l’Uruguay, inspiré par les idées et les doctrines établie par la politique de José Batlle y Ordóñez), il y a eu des individus et des groupes qui sont arrivés depuis à l'anarchisme (ou qui sont allés ensuite jusqu'à lui). En Argentine, par exemple, l'écrivain mentionné Julio R. BARCOS, anarchiste qui a milité ensuite dans le radicalisme irigoyeniste (parti d'YRIGOYEN), n'a jamais cessé de défendre quelques idées de sa jeunesse, comme cela peut se voir dans son livre Cómo educa el estado a tu hijo (Comment l'état éduque ton enfant) Buenos Aires, Éditorial acción, 1928, prologue de Gabriel MISTRAL (Cfr. C. Rama, Historia del movimiento obrero y social latinoamericano, pp. 97-98).
(40) Manuel GONZALEZ PRADA, Pages Libres, p. 72.
(41) Ibid., p. 73.
(42) Ibid., p. 74.
(43) Ibid., p. 78.
(44) Ibid., p. 79.
(46) Ibid., p. 81.
(47) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, p. 239.
(48) Ibid., p. 240.
(49) Cfr. M. Horkheimer, La familia y el autoritarismo (La famille et l'autoritarisme), Barcelona, 1970; R. D. LAING El cuestionamiento de la familia (La mise en question de la famille), Buenos Aires, 1972.
(50) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, p. 243.
(51) Ibid., p. 245.
(52) Manuel GONZALEZ PRADA, Pages Libres, p. 84.
(53) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, p. 225.
(54) Ibid, p. 228. Cfr. P. KROPOTKIN, Campos, fabricas y talleres (Champs, usines et ateliers), Madrid, 1972, p. 5 et suivantes.
(55) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, p. 229. Cfr. P. KROPOTKIN, La conquista del pan (La conquête du pain), Madrid, ZVX, 1973, p. 13.
(56) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, p. 230.
(57) Ibid., p. 231.
(58) Ibid., p. 232.
(59) Cfr. P. KROPOTKIN, La conquête du pain, pp. 25-26.
(60) P. J. PROUDHON, Que es la propiedad? (Qu'est-ce que la propriété?), Buenos Aires, Projection, 1970, chapitre IV, prop. 4.
(61) Manuel GONZALEZ PRADA, Heures de lutte, p. 233.
(62) Sur Manuel GONZALEZ PRADA, vous pouvez lire: Eugenio GARRO, Manuel GONZALEZ PRADA, New York, 1942; Luis ALBERTO SANCHEZ, Don Manuel, Santiago, ERCILLA, 1937, Lima, 1964; Miguel Angel CALCAGNO, El pensamiento de GONZALEZ PRADA, Montevideo, 1958; Varios (collectif), GONZALEZ PRADA: Vida y Obra (Vie et OEuvre), New York, 1938.
 
* Texte traduit par Gilles Ozanne et aimablement transmis à Alter autogestion
Publié également sur http://ablogm.com/cats/

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