M. Colloghan

dimanche 24 janvier 2010

AH DIEU ! QUE LE SEISME EST JOLI

Charles Bamba
(pardon pour ce plagiat d’Apollinaire « L’adieu du cavalier »)
D’abord, que le peuple martyr d’Haïti reçoive ici le témoignage de notre compassion, de notre empathie, de notre solidarité active. Et les mots sont faibles pour exprimer ce que nous pouvons ressentir. Mais tout ce qui se passe en ce moment autour de cette catastrophe est insupportable, révoltant, nauséabond…Il y a d’abord cette insistance à présenter ce drame comme une malédiction qui frapperait à nouveau les fils de Cham.
Haïti se trouve sur le point de rencontre entre la plaque tectonique "Caraïbes" et la plaque tectonique "Amérique du Nord". Cependant il est évident que l’impact d’un séisme varie selon la qualité des infrastructures et des structures d’un pays, entre autres en termes de constructions antisismiques ou de protection civile. C’est la pauvreté d’Haïti qui explique l’ampleur des conséquences. Ce n’est pas une malédiction et il convient d’en analyser les causes.

Ne pas le faire comme c’est le cas dans presque tous les médias, c’est ajouter le mépris, le déni de l’histoire au drame haïtien. Comme le souligne, depuis Cuba toute proche, Fidel Castro: « Les Haïtiens ne sont pas coupables de leur pauvreté actuelle : ils sont les victimes du système imposé au monde. Ils n’ont pas inventé le colonialisme, le capitalisme, l’impérialisme, l’échange inégal, le néolibéralisme, ni les formes d’exploitation et de pillage qui sévissent sur la planète depuis deux cents ans. » (1)
Ce n’est pas une quelconque destinée maudite qui amena les Etats-Unis à envahir l’île en 1915 et à l’occuper pendant vingt ans. La Constitution empêchait les étrangers de détenir des entreprises dans le pays. Qu’à cela ne tienne, l’occupation américaine permit à des dirigeants acquis à la cause du libéralisme de la modifier. On expropria des milliers d’habitants, on créa de gigantesques plantations, on permit l’implantation des compagnies fruitières américaines et à 1% de la population de posséder 50% des ressources du pays.
Ce n’est pas un mauvais sort qui installa, de 1957 à 1986, les terribles dictatures des Duvalier père et fils, seulement occupés à s’enrichir sur le dos du pays. Ils bénéficièrent du soutien zélé de la France et des Etats-Unis. D’ailleurs pour récompense de leurs loyaux services, en particulier contre la menace communiste, la France accorda l’asile à l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier. Celui-ci emportait avec lui une fortune de 900 millions de dollars, volée dans les caisses de l’état haïtien, soit une somme alors supérieure à la dette externe du pays. Entre 1957 et 1986, la dette extérieure a été multipliée par 17,5. Au moment de la fuite de Duvalier, elle représentait 750 millions de dollars et en 2008, elle monte, avec le jeu des intérêts et des pénalités, à plus de 1 884 millions de dollars Cette « dette odieuse » doit être annulée, comme toutes les dettes d’Haïti.
Mais on peut remonter encore plus loin dans l’histoire pour comprendre.
Aimé Césaire l’a écrit: « L’Occident pardonnera-t-il un jour aux descendants de Toussaint Louverture ?"
En 1793 avec Toussaint Louverture, la révolte des esclaves aboutit à leur émancipation et à une large autonomie de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue. En 1800, c’est le rétablissement officiel de l’esclavage par Napoléon. D’importantes troupes militaires envoyées de France eurent comme mission la restauration de la Traite et du pouvoir des blancs esclavagistes. Ces soldats furent battus et en 1804, leurs vainqueurs et anciens esclaves proclamèrent la République d’Haïti. Une économie prospère commença à s’y développer. Mais en 1825, une grande armada de navires de guerre français fit un blocus de tous les ports de la jeune république. La condition de la levée de ce blocus fut le versement de 150 millions de Francs or, une somme astronomique à l’époque. Cette somme servit à indemniser non pas les anciennes victimes c'est-à-dire les esclaves, mais les "planteurs", autrement dit les esclavagistes.
Étranglé, le pays dut emprunter dès cette date auprès des banques françaises un montant de 6 millions de Francs or pour démarrer le paiement de ce racket. Le montant de la rançon fut ramené à 90 millions dans un "traité" signé en 1838. Haïti paya cette somme jusqu’au dernier franc. En francs constants, et avec un taux d’intérêt moyen de 2,3% pour ces années écoulées cela fait environ 21 milliards de dollars, que la France s’honorerait de rembourser. Cette somme a été réclamée par Aristide en 2003-2004. Ce président en exercice fut enlevé par l’armée américaine et exilé à Bangui en Centrafrique, un pays abritant une base militaire française ! Certes, le régime d’Aristide fut répressif et corrompu. Son remplaçant, Gérard Latortue, le fut aussi ! Mais il ne connut pas le sort d’Aristide. Il observait le silence sur la dette illégitime. Aristide, quant à lui, est actuellement réfugié en Afrique du Sud.
Rien de surnaturel donc dans les difficultés économiques de ce petit pays.
Mais pire encore que cette désinformation sur les raisons de la situation actuelle en Haïti, pire que le silence du PPA (le parti de la presse et de l’argent cher à nos amis du Plan B) sur des mesures de justice et de bon sens nécessaires immédiatement, comme l’annulation totale de la dette, le remboursement par les banques suisses de l’argent des Duvalier, la régularisation immédiate des sans papiers haïtiens et autres aspects économiques et politiques, il y cette inflation de reportages destinés à faire pleurer dans les chaumières, sur l’aide apportés par les bons blancs à ces sauvages pillards ou mendiants.

L’Occident applaudit à l' « aide humanitaire » qui est le contraire de l'humanisme en ce qu'elle fait du frère humain un objet de consommation, un prétexte au spectacle de l'excellence de sa civilisation et l'exclut de tout devenir autre que la dépendance.
(extrait de la barbarie et l’humanitaire, article de Robert Charvin, professeur émérite de l'Université de Nice-Sophia Antipolis, Doyen Honoraire de la Faculté de Droit de Nice-Sophia Antipolis, paru dans Différences, journal du Mrap et à paraître prochainement dans Rouge et Vert).
Et c’est cela qui est sans doute le plus insupportable dans ce déferlement « humanitaire » complaisamment relayé par les médias, reportages dégoulinant de bons sentiments et de clichés (un enfant blessé, c’est bon ça coco, un pillard, oh ouiiii, les difficultés d’organisation, l’incurie des autorités locales, excellent ça !!!).
Qu’ils soient de conscients fieffés salopards, ou aliénés dans leur univers mental d’occidentaux nantis, infatués d’eux-mêmes, sûrs de leur supériorité économique, politique, idéologique, les maîtres de ballet de ce triste spectacle concourent au même résultat : ils renvoient à leurs destinataires (qui ne demandent que ça) une image satisfaisante d’eux-mêmes. Ils handicapent en même temps une future prise de conscience.
Il ne reste plus qu’à transformer Haïti (et les autres futures nations martyres) en pupille de l’Humanité (en d’autres temps on disait protectorat) comme le suggère Régis Debray, pour le plus grand plaisir d’un tas d’ONG « humanitaires ». Ce même Régis Debray, en 2004, s’était prononcé contre le remboursement de l’argent extorqué aux haïtiens !!!
Miss Condoleza Rice avait dit du Tsunami de 2004 qu’il était une " formidable opportunité ".
Le séisme comble ses successeurs aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde.

Charles Bamba (Membre de la commission internationale des Alternatifs)
1) Dans le même écrit, il informe :À ce jour, 533 jeunes Haïtiens ont conclu leurs études comme spécialistes de Médecine générale intégrale dans nos facultés de médecine, et 52 d’entre eux étudient maintenant à Cuba une seconde spécialité en fonction des besoins. Un autre groupe de 527 continuent d’en faire, selon le quota de bourses adjugé à la République d’Haïti.

Actuellement, 413 personnels cubains de la santé travaillent en Haïti, prêtant des services gratuits à ce peuple frère. Les médecins cubains sont présents dans les dix départements du pays et dans 127 des 137 communes. Par ailleurs, plus de 400 médecins haïtiens formés à Cuba y exercent aussi, ainsi que les élèves de dernière année qui font leur pratique aux côtés de nos médecins, soit un total de plus de 800 jeunes Haïtiens consacrés à l’exercice de la médecine dans leur patrie. Les nouveaux diplômés haïtiens ne cesseront d’augmenter cette quantité.

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