M. Colloghan

jeudi 19 mars 2009

Venezuela : Programmes sociaux

Mathieu Colloghan et Richard Neuville *


Au sein du quartier
Depuis le 2e trimestre 2003, le Gouvernement vénézuélien a mis en place les « misiones sociales », une série de programmes sociaux d’urgence (voir encadré). Parmi ses missions, le « Barrio Adentro » (littéralement « Au sein du quartier »), est sans doute celui dont les résultats sont les plus visibles. C’est dans le quartier de La bandera, un quartier populaire du sud de la ville que nous avons pu toucher, durant un court instant, la réalité des réformes accomplies.
Il ne s’agit bien évidemment pas d’une étude ni d’une description exhaustive (On lira avantageusement pour cela l’article de Richard Neuville « les réformes du gouvernement bolivarien », R et V n°222). Juste une coupe, un instantané dans la réalité des luttes contre la misère à Caracas. Le long d’un des innombrables boulevards saturés de Caracas, croisement entre boulevard périphérique et bretelles d’autoroute, s’enfonce un grand centre commercial gris. Les immeubles penchés des deux côtés, et la rue en pente donnent l’impression que ce seul bâtiment droit penche de côté comme si doucement il s’enfonçait dans le bitume. Juste derrière commence, abrupt, un Barrio, ces quartiers populaires accrochés aux flancs des collines, les « cerros ». Plein de petites maisons en désordre. Des cubes de briques rouges brutes où s’entasse la misère de Caracas. Il faut monter au dernier étage de ce centre commercial (qui paraît de plus en plus à l’abandon au fur et à mesure qu’on monte les étages) pour arriver dans les locaux de la mission. Tous les matins défilent ici permanents et volontaires des missions, venus pour un cours sur les coopératives ou pour récupérer du matériel d’information à diffuser. Un défilé continu de tout âge et toute couleur de peau ; des Vénézuéliens souvent en T-shirts ou casquettes rouges estampillées « Barrio Adentro », « Mission sucre » ou « Robinson ». C’est la première étape de notre visite.Norma Soto nous reçoit ici, dans son bureau, une grande pièce aux murs de béton presque vierges, si ce n’est les cartes des quartiers annotées au feutre et aux punaises de couleur, comme autant de plans de batailles. Norma a un regard doux et un large sourire. Elle nous explique comment les quartiers sont découpés, suivant les plans du diocèse : la ville en municipalités, les municipalités en paroisses, les paroisses en quartiers et les quartiers en cellules de base. Une multitude de petites cellules de 150 à 250 familles. Norma parle de re-politisation et d’investissement des familles dans le processus des missions, mais elle en convient : aujourd’hui le travail des coordinateurs et des promoteurs qui quadrillent les quartiers tient surtout du soutien social et de prévention médicale, qui est au centre du projet. C’est qu’on part de loin. Les médecins refusaient tout simplement de s’installer ou de faire des visites dans les quartiers populaires, la prévention y était nulle (avec des enfants qui, pour certain, n’avaient pas vu de médecins avant l’age de 10 ans1), la mortalité liée à l’asthme, l’hypertension ou le diabète était très répandue.En avril 2003, le projet « Barrio adentro » débute avec 58 médecins cubains. En moins de trois ans, c’est 20 000 médecins cubains, mais aussi des Vénézuéliens, qui se sont installés dans les quartiers populaires pour suivre 17 millions de vénézuéliens.Norma nous a abreuvés de chiffres et de statistiques, de schémas et de graphique pour bien nous montrer l’ampleur des réalisations et du projet. Après la théorie, nous avons droit à la pratique : la visite de quelques éléments des missions qui ont poussé dans le quartier.Nous commençons par un « consultorio », un centre de soins. Il s’agit d’une petite maison octogonale de conception chinoise. À l’étage vit le médecin, au rez-de-chaussée, c’est le lieu de la consultation. Les mêmes maisons ont poussé dans tous les barrios. La médecin cubaine qui nous reçoit, nous explique sommairement le fonctionnement : ce centre de soins et de prévention gratuit accueille les familles du quartier. Elle distribue, toujours gratuitement, 103 médicaments couvrant l’essentiel des traitements. Pour les problèmes plus graves, on envoie les malades à d’autres centres de soins, les « clínicas populares » et les « hospitales del pueblo », des structures moins nombreuses mais mieux équipées. Pour certaines maladies particulièrement complexes, on peut même envoyer les malades vers les hôpitaux cubains, particulièrement efficaces. Pendant que le médecin nous explique comment ce dispositif tend à garantir des soins à toute la population, une maman attend patiemment qu’on lui prescrive des médicaments pour sa petite fille. La situation nous apparaît de plus en plus embarrassante : nous sommes venus voir la réalité de ce projet et nous voilà dans du réel, c’est-à-dire au milieu d’une consultation, avec des malades qui attendent leur tour dans le hall. Et nous, même pas malade, en train de bloquer les consultations. La disponibilité du médecin pour nous répondre (disponibilité que nous avons retrouvée auprès de chaque participant au B.A avec qui nous avons parlé) devient embarrassante. Nous sortons du centre de soins un peu gênés de cette incursion illégitime dans un cabinet médical.Un peu plus loin dans ce même quartier, nous arrivons à une « Casa de alimentación ». Cette petite baraque bleue fait partie des «comedores populares» (cantines populaires) qui fournissent gratuitement le repas de midi et un goûter à 600 000 personnes très pauvres. Ici, c’est 150 personnes du quartier qui sont suivies. Les bénévoles de ce restaurant, 4 femmes du quartier, les suivent en liaison avec les autres missions. Il ne s’agit pas ici de dames patronnesses et de bonnes œuvres mais d’actes militants entre habitants du même quartier. L’idée de participer à un grand projet national est aussi particulièrement présente. Elles nous expliquent l’importance que revêt à leurs yeux le « processus révolutionnaire bolivarien » ; Il est évident qu’elles sont aux premières lignes de cette transformation sociale et peuvent jauger au quotidien l’impacte de cette mutation dans le quartier.Nous continuons cette visite en revenant sur nos pas.Entre le comedor et le consultorio, on trouve un « Mercal », un magasin d’alimentation populaire. Conçu comme une chaîne de magasin, garant de la production et la distribution des produits de base, (riz, farine de maïs, viande, lait en poudre, huile etc.), les Mercal vendent à un prix 40 % inférieur à celui du marché. Gérés par des habitants du quartier, le plus souvent en coopératives, ils diffusent leurs produits auprès d’un tiers de la population du pays. Il fait bien un peu plus populaire que les enseignes classiques du marché de l’alimentation mais ce magasin n’a rien de misérable. Les rayons sont pleins. On trouve même du café, chose introuvable dans les supermarchés depuis que les torréfacteurs organisent la pénurie pour faire augmenter les prix.Nous finissons notre visite par un grand centre scolaire. Il s’agit de plusieurs bâtiments, délivrant l’enseignement de la maternelle au bac, avec aussi des classes spécialisées pour les élèves en difficulté. Là aussi, on essaie de faire différemment, de corriger les injustices sociales.Alors que la visite se termine, nous ne pouvons qu’être impressionnés par l’ampleur du projet et ses résultats concrets. Bien sûr, il y a un vrai problème de contrôle social quand les militants d’un projet politique, aussi généreux soit-il, quadrillent aussi efficacement un quartier. Il est aussi évident que tout cela n’est possible qu’avec les sommes dégagées par les ventes de pétrole, et qu’un pays pauvre ne pourrait mener à bien un projet de cette taille. Et enfin, il est vrai que cela ne change pas grand-chose au x mécanismes inégalitaires d’une société capitaliste. Mais il est tout aussi évident que pour les habitants des barrios, ces changements sont des changements de fond de leur quotidien.

* Article rédigé pour Rouge et Vert le 10/02/2006

1.Dans la municipalité de Sucre (Grand Caracas), sur un million de personnes, une étude démontre que 65,5 % des enfants de 0 à 6 ans n’avaient jamais eu d’assistance médicale ni de vaccin.

Les ”misiones sociales” déjà engagées :
- Misión Robinson 1 : programme d’alphabétisation à grande échelle-
-Misión Robinson 2 : suite du programme Robinson 1,
-Robinson2 permet l’accès au cycle élémentaire et d’apprendre l’anglais et l’informatique.
-Misión José Felix Ribas : niveau baccalauréat,
-Misión Sucre : enseignement supérieur pour les jeunes et les adultes,
-Misión Vuelvan Caras : formation professionnelle,
-Misión Cultura : programme pédagogique identitaire et artistique,
-Barrio Adentro- «Misión Mercal : programme de lutte contre la faim
- Misión Piar : diversification de l’ économie
- Misión Zamora y Ley de tierras : attribution de terres aux plus démunis
- Misión Guaicaipuro : défense des droits des peuples indigènes
- Misiones de l’économie sociale et populaire
-Misión Vuelvan Caras : programme d’inclusion administrative
- Plan Bolívar 2000 : amélioration des infrastructures publiques
- Misión Hábitat : amélioration de l’habitat
- Misión Identidad : constitution d’un fond administratif universel (état civile, propriété, filiation …)
-Vuelta al campo : Promotion du travail agraire
- Mission de première urgence auprès des plus démunis

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